Les droits de l'homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) sont l'un des sujets donnant lieu aux positions les plus tranchées sur la Corée du Nord. Pour l'immense majorité des médias occidentaux, la cause serait entendue : la situation des droits de l'homme en Corée du Nord serait l'une des pires au monde, comme en attesterait la présence de dizaines de milliers de Nord-Coréens en Chine. Pour leur part, les autorités nord-coréennes, nonobstant la garantie de droits sociaux (éducation et santé gratuites, taux d'alphabétisation de 99 %), soulignent l'instrumentalisation, selon elles, des droits de l'homme comme un instrument politique utilisé par ses advsersaires à des fins de déstabilisation. Sans prétendre épuiser l'ensemble des débats sur ce sujet, nous reproduisons ci-après quelques observations d'un universitaire néo-zélandais, Tim Beal, qui a effectué de nombreux voyages tant au Nord qu'au Sud de la péninsule.
Dans les relations internationales, la question des droits de l'homme n'est jamais soulevée de manière fortuite : comme le rappelle Tim Beal, "elle a été utilisée, après l'événement, pour justifier l'invasion de l'Irak quand la ligne des armes de destruction massive n'était plus soutenable, mais elle s'est avérée avoir été utilisée de manière frauduleuse. Par exemple, Tony Blair a dû admettre que sa déclaration que "400.000 corps avaient été retrouvés" n'était pas vraie, et que seulement 5.000 corps avaient été sortis de terre. (...) Saddam Hussein pouvait être responsable des 5.000 corps, mais Tony Blair était responsable du mensonge".
S'agissant de la Corée du Nord, Tim Beal souligne d'abord que les pressions économiques, politiques et militaires ont contribué aux privations subies par la RPDC - soumise au plus vieil embargo au monde, et toujours formellement en état de guerre depuis 1953 - pour observer que "les Etats-Unis plus qu'aucun autre acteur peuvent entraîner une amélioration de la situation. Néanmoins, il y a un danger sérieux que les vraies préoccupations de l'opinion sur les droits de l'homme, et plus particulièrement sur les réfugiés, soient utilisées par ceux au pouvoir à Washington pour faire pression pour un "changement de régime" et conduise à une dégradation de la situation, tant au Nord qu'au Sud, et peut-être à la dévastation de la péninsule".
Exemples précis à l'appui, le professeur Tim Beal montre que la situation des droits de l'homme en Corée du Nord est moins sûre et plus compliquée qu'on ne le pense généralement, en appelant à prendre en compte les motivations des pays étrangers lorsqu'ils dénoncent Pyongyang sur ce terrain, en examinant avec attention la fiabilité des sources utilisées.
S'agissant de la peine de mort et des exécutions publiques, celle de Yu Tae-jun, un défecteur retourné en Corée du Nord chercher sa femme a fait l'objet d'articles de presse, notamment sur le site Asian Times online le 22 mars 2001, et à pas moins de dix reprises dans le journal conservateur sud-coréen Chosun Ilbo... avant que le mort ne ressuscite, en donnant des conférences de presse à la fois au Nord et au Sud de la péninsule - notamment au quotidien sud-coréen Korea Times le 15 février 2002. Revenu au Sud où il s'attendait à être traité en héros, Yu Tae-jun devait d'ailleurs être condamné par la justice sud-coréenne à six mois de prison pour avoir violé la loi de sécurité nationale en se rendant au Nord.
Sur la question des condamnations à mort, Tim Beal estime qu'il est probable que la Corée du Nord se situe dans le haut de ce classement macabre - à l'instar de pays comme Singapour (officiellement au premier rang mondial pour le nombre de condamnés à mort, compte tenu de sa population) et les Etats-Unis - mais appelle à la plus grande prudence sur les statistiques circulant ici ou là, la Corée du Nord ne publiant aucune donnée. Il note d'ailleurs que l'ONG Amnesty International ne s'aventure pas à donner un chiffre précis des condamnations à mort en Corée du Nord.
Une analyse sereine doit dépassionner la question des droits de l'homme en Corée du Nord, en partant d'analyses factuelles et de comparaisons internationales crédibles : à cet égard, les prisons nord-coréennes appelées camps en Occident sont des zones de relégation, pas seulement pour une personne mais pour toute sa famille, recouvrant toute une gamme de situations. Tim Beal observe que le chiffre couramment avancé de 150.000 à 200.000 personnes donne un taux d'emprisonnement, rapporté à la population, comparable à celui des Etats-Unis. S'agissant des camps les plus durs, il fait sienne l'observation de l'universitaire australien Gavan MacCormack, spécialiste de la Corée du Nord : alors qu'un prisonnier d'opinion au Sud, Suh Sung, a décrit les duretés de son emprisonnement dans Unbroken Spirits : Nineteen Years in South Korea's Gulag dans des termes très semblables à ceux utilisés par Kang Chol-hwan dans les Aquariums de Pyongyang pour décrire sa vie dans un camp au Nord, pourquoi ne pas avoir confronté ces deux témoignages ? Il est d'ailleurs intéressant de noter que les Aquariums de Pyongyang sont devenus un des best-sellers des livres sur la Corée du Nord en France, quand le témoignage de Suh Sung, pourtant contemporain de celui de Kang Chol-hwan, est largement ignoré dans notre pays.
Un deuxième exemple donné par Tim Beal concerne les expérimentations chimiques sur les prisonniers en Corée du Nord, qui a fait l'objet d'un reportage d'Olenka Frenkiel diffusé sur la BBC le 1er février 2004, intitulé Access to Evil. Ont été utilisés le témoignage de Kwon Hyok, ancien chef de sécurité d'un camp de prisonniers (le "camp 22") ayant fait défection en Chine, et une documentation (la "lettre de transfert") autorisant les expérimentations humaines, remise à un militant des droits de l'homme, Kim Sang-hun. Mais les services secrets sud-coréens reconnurent ce témoignage majeur comme un faux, tandis que Kwon Hyok avait pris du galon dans un article d'Anthony Barnett publié dans the Observer, en devenant un attaché militaire de la RPD de Corée à Pékin... C'est dans ce contexte que la Coalition des citoyens pour les droits de l'homme des enlevés et des réfugiés nord-coréens tint une conférence de presse, le 12 février 2004, pour donner une nouvelle provenance de la lettre de transfert : Kang Byong-sop, ingénieur d'une usine de vinalon suspectée par les Etats-Unis de fabriquer des armes chimiques. Pourtant, le même Kang Byong-sop donnait une conférence de presse à Pyongyang, le 31 mars 2004, où il révélait que son fils, Kang Song-hak, qui avait fait défection au Sud sept ans plus tôt, lui avait demandé de soutenir l'hypothèse d'expérimentations humaines dans le complexe de vinalon du 8 Février, où il travaillait, ces documents pouvant lui assurer une forte somme d'argent des organisations sud-coréennes de défense des droits de l'homme.
La situation des droits de l'homme en Corée du Nord est-elle un sujet pour lequel aucune étude sérieuse n'est possible ? Non, comme l'observe Tim Beal, mais à condition de procéder à un travail d'enquête minutieux qui doit également inclure les droits économiques et sociaux, reconnus comme des droits humains à part entière par les Nations-Unies. A cet égard, les difficultés alimentaires des Nord-Coréens constituent une priorité, donnant lieu à une analyse détaillée par le professeur Tim Beal non seulement de l'aide alimentaire, mais aussi de la production agricole et des programmes de coopération menés dans les domaines bilatéral et multilatéral.
Source : Tim Beal, "The Human Rights Record : Complexities, Causes, Solutions", in Tim Beal, North Korea. The Struggle against American Power, Pluto Press, Londres, 2005.