Le pasteur Kang Hui-nam, une des grandes figures du mouvement pour la réunification de la Corée, s'est donné la mort le 6 juin dernier, à l'âge de 89 ans. Les circonstances de cette disparition évoquent immanquablement le décès de l'ancien président Roh Moo-hyun, survenu quinze jours auparavant. Rien ne permet néanmoins de lier ces deux événements tragiques, si ce n'est l'opposition des deux hommes à l'actuel président sud-coréen (conservateur) Lee Myung-bak. En décembre 2008, Kang Hui-nam était venu à Paris pour participer à un forum sur la politique internationale. Les membres de l'Association d'amitié franco-coréenne également présents à ce forum avaient été impressionnés par la détermination et la force de l'engagement de ce vieil homme à l'apparence si frêle.
Le samedi 6 juin 2009, Kang Hui-nam s'est donné la mort à son domicile de Jeonju, une ville du sud-ouest de la Corée. A 89 ans, le pasteur Kang était le président honoraire de la branche sud-coréenne de l'Alliance pan-coréenne pour la réunification (Pomminryon), mouvement dont il fut le premier dirigeant. Fondée en 1990 par des Coréens du Nord et du Sud, la Pomminryon reste interdite par les autorités sud-coréennes en vertu de la Loi « de sécurité nationale ».
En 1961, le pasteur Kang déchira sa carte de résident de la République de Corée (Corée du Sud) après le coup d'Etat militaire de Park Chung-hee. Kang Hui-nam s'est longtemps présenté comme « apatride ». Il s'en expliquait dans un livre écrit en 1989: « Cela fait 28 ans que j'ai renoncé à ma prétendue carte de résident. Pourquoi? Parce que je n'ai ni 'président', ni 'gouvernement' dans ce pays. Pour moi, seule la 'nation coréenne' existe. » Ce n'est qu'en 1998, après l'élection du président Kim Dae-jung, son compagnon de lutte pendant les heures sombres de la dictature militaire, que Kang Hui-nam accepta de recevoir une carte de résident sud-coréen.
L'engagement de Kang Hui-nam en faveur de la réunification de la Corée lui valut d'être arrêté plusieurs fois. Entre 1977 et 1998, il passa en tout près de sept ans derrière les barreaux.
En 1977, Kang fut condamné à dix ans de réclusion en application des « mesures d'urgence » décidées par le gouvernement militaire de Park Chung-hee. Il retrouva la liberté au bout de trois ans, après l'assassinat du président Park en 1979. Alors que Kang Hui-nam était emprisonné à Kwangju, dans le sud-ouest de la Corée, son fils aîné était lui-même détenu à la prison de Jeonju, à une centaine de kilomètres de là. Coïncidence étrange, le père et le fils partageaient le même numéro : 1967.
Arrêté en novembre 1986 pour avoir donné une lecture à l'Université de Jeonju, Kang purgea une nouvelle peine. A la prison de Jeonju, il mena une grève de la faim pendant quarante jours pour protester contre la tentative du président sud-coréen de l'époque, le général Chun Doo-hwan, de se maintenir au pouvoir en manipulant la constitution. Au sujet de cette expérience, Kang Hui-nam déclarait en 1999 : « J'étais prêt à risquer ma vie. Je menais ma grève de la faim en priant Dieu – Cette chambre de prison m'avait été donnée par l'histoire de la nation coréenne. Je ferai donc de cet endroit un espace pour la démocratie au prix de ma vie. S'il Te plait, aide-moi – Ce fut un miracle qu'un homme aussi faible que moi survive quarante jours sans nourriture. »
Kang Hui-nam sortit de prison après la victoire de la « lutte de juin 1987 » qui aboutit à la fin du pouvoir militaire et à la première élection directe en Corée du Sud. C'est aussi à cette époque que Kang renonça à la lecture de la Bible et à une pratique « traditionnelle » du christianisme. En effet, le pasteur Kang pensait que la vraie Bible et les vrais chrétiens se situent en dehors de l'Eglise. Kang Hui-nam se moquait de passer pour « hérétique » : « Même si je ne lis pas la Bible, ma foi n'a rien d'étrange. Je parle tout le temps avec le Dieu de l'histoire. Je ne peux pas vivre un seul jour sans Dieu. Ceux qui crient 'Dieu!' ou 'Seigneur!' ne sont pas les vrais chrétiens. Ceux qui empruntent un chemin plein d'obstacles sont les vrais chrétiens... Mais les gens essaient souvent de prendre le chemin le plus facile dans la vie. »
Kang échappa de justesse à la prison sous le régime de Roh Tae-woo (1988-1993), mais fut encore arrêté en juillet 1994 quand il voulut aller en Corée du Nord pour témoigner de son respect envers le président Kim Il-sung qui venait de décéder : le 16 juillet 1994, Kang se rendit à Panmunjom, dans la zone démilitarisée séparant les deux Corée, en brandissant une pancarte où on pouvait lire « Ecartez-vous ! Je dois aller au Nord pour présenter mes condoléances. » Arrêté sur-le-champ, il fut libéré à l'issue de son procès mais avec une mise à l'épreuve.
Kang Hui-nam connut encore la prison à deux reprises. En novembre 1995, avec trente autres responsables de la Pomminryon, il fut condamné à une peine de trois ans. Kang Hui-nam sortit de prison en mars 1998, à la faveur de l'amnistie décidée par le président Kim Dae-jung nouvellement élu. Mais dès le mois d'août suivant, alors âgé de 78 ans, il fut à nouveau arrêté pour avoir organisé un festival de la réunification à l'Université nationale de Séoul. Remis en liberté, sur parole, deux mois plus tard, Kang Hui-nam se sentait néanmoins trahi par le président Kim Dae-jung, son ancien compagnon de lutte.
Cette expérience de la prison, sous des régimes militaires et civils, a beaucoup influencé la philosophie de Kang Hui-nam. Il considérait que le changement de régime en Corée du Sud n'avait changé que peu de choses, laissant en place tout l'appareil répressif, qu'il s'agisse du ministère public ou des services secrets.
Quand on lui demandait s'il avait peur de la prison, Kang Hui-nam répondait « ce n'est pas la prison que je crains, mais l'ombre de moi-même. » Kang signifiait ainsi sa crainte de Dieu et la peur de trahir sa propre conscience. Et plus que cette ombre de lui-même, Kang Hui-nam craignait la « plume des historiens ». Il avait l'habitude de dire à ceux qui luttaient à ses côtés que « le peuple devrait avoir moins peur des balles des fusils que de la plume des historiens qui, dissimulés, enregistrent l'histoire de la nation coréenne. » C'est en pensant à la « plume des historiens » que Kang emprunta délibérément un « chemin plein d'obstacles » afin de léguer une histoire authentique à la postérité. « Même si je perds face à l'autorité, je gagnerai devant Dieu, et même si je deviens un criminel pour l'autorité, je ne serai pas un criminel pour l'histoire. Telle est ma foi. »
Bien sûr, Kang Hui-nam s'opposait aussi fermement à la présence des troupes américaines en Corée du Sud. « Aussi longtemps que les Yankees seront stationnés en Corée du Sud, le pays ne sera pas un véritable Etat souverain. » Fort de son expérience, il pensait que la situation de la Corée du Sud n'avait pas fondamentalement changé depuis la fin de la colonisation japonaise.
En mai 2009, malgré son âge avancé, Kang Hui-nam avait encore mené une grève de la faim de neuf jours pour protester contre la politique du président Lee Myung-bak à l'égard de la Corée du Nord.
Pour tout testament, Kang Hui-nam a laissé une note dans laquelle il cite en exemple le soulèvement populaire du 19 avril 1960 (qui a chassé Syngman Rhee du pouvoir) et celui de juin 1987 (qui a mis fin à la dictature militaire en Corée du Sud). « Seul le peuple peut rendre ce pays juste », a écrit Kang Hui-nam dans sa note. « Que la lutte du peuple chasse le meurtrier Lee Myung-bak. »
Les obsèques de Kang Hui-nam ont eu lieu le 10 juin, jour du 22eme anniversaire du début des manifestations qui mirent fin au régime militaire. Ce même jour, plus de 100.000 personnes se sont réunies au centre de Séoul pour célébrer l'anniversaire du soulèvement de juin 1987. Comme en écho au dernier appel lancé par le pasteur Kang, une résolution a été adoptée par les manifestants pour exiger que l'administration Lee Myung-bak restaure la démocratie et modifie en profondeur sa méthode de gouvernement. Avant ce grand rassemblement, plusieurs milliers de citoyens avaient entrepris une marche en direction de la Maison Bleue, siège de la présidence sud-coréenne, au cri de « Renversons la dictature ». Ils en ont été empêchés par les 22 000 (!) policiers déployés dans le centre de Séoul.
L'Association d'amitié franco-coréenne, très attristée par le décès de Kang Hui-nam, adresse ses plus sincères condoléances à sa famille et à ses compagnons de lutte. En décembre 2008, les membres de l'AAFC participant au forum de politique internationale organisé à Paris par l'Institut de Recherches coréennes du 21eme siècle (Corea21), avaient eu la chance de croiser le pasteur Kang. Ils n'oublieront pas la fougue et l'énergie de ce vieil homme qui ne recula jamais sur le « chemin plein d'obstacles » devant mener à la réunification indépendante et pacifique de son pays.
Sauf indication contraire, les citations de Kang Hui-nam sont extraites d'un entretien accordé en janvier 1999 au mensuel sud-coréen Mal. Cet entretien a été publié (en anglais) sur le site The People's Korea.
Autres sources :The Hankyoreh, The Korea Herald, The Korea Times
Monsieur le Président Kang Hui-nam,
par Cho Deok-won, directeur de l’Institut de Recherches coréennes du 21ème siècle
Monsieur le Président, vous êtes parti exactement comme vous avez vécu. Vos « dernières paroles », en seulement quatre phrases, ont réveillé le peuple et ont ranimé l’étincelle de la lutte. Si votre acte a laissé dans nos cœurs une blessure qui ne peut guérir, il nous a donné également le courage de poursuivre notre lutte populaire en respectant vos volontés. Monsieur le Président, vous avez tout sacrifié, sans aucune hésitation, toujours au profit du peuple et de la classe populaire, pour la démocratie et la réunification autonome de notre pays. Monsieur le Président, vous qui êtes un juste de notre époque et un grand homme pour notre peuple, en nous rappelant votre vie illustre et votre lutte sans faille, nos cœurs s’emplissent d’une tristesse insondable et d’une honte profonde. Alors, en nous libérant fermement de toute lâcheté et de tout désarroi, tous ensemble, en suivant vos pas, nous nous acheminons vers les champs de bataille de la résistance, vers ces champs de bataille impliquant une question de vie ou de mort.
Monsieur le Président, vous avez vécu une vie dans laquelle paroles et actes concordaient exactement : votre grève de la faim durant 40 jours en prison pour vous opposer au régime dictatorial militaire de Chun Doo-hwan en 1987, votre emprisonnement pour votre tentative de vous rendre en Corée du Nord pour présenter vos condoléances, en tant que Président de l'Alliance pan-coréenne pour la réunification, à l’occasion de la mort du Président Kim Il-sung, en 1994, votre combat énergique pour le départ des Yankees de Corée et la réunification fédérale de la Corée tout au long des années 2000. Parmi tous ces gens qui devisent de la classe populaire et du peuple coréen, de démocratie et de réunification autonome, qui a réellement concrétisé ses paroles par des actes, comme vous l’avez fait ? Monsieur le Président Kang, vous avez combattu, imperturbablement, durant plusieurs dizaines d’années, comme s’il ne s’agissait que d’une seule journée, avec pour seuls moyens vos paroles, vos écrits et toute votre chair et parfois même en mettant en danger votre propre vie, les ennemis de la démocratie et les ennemis de la réunification autonome de la Corée. Vous avez fait fuir les réactionnaires de droite venus pour vous lyncher, en vous écriant : « Vous êtes venus faire ce que je désire. Je considérerais comme un honneur si mon sang était répandu sur mes vêtements blancs ». Vous avez été emprisonné parce que vous avez clamé haut et fort : « Je vais en Corée du Nord pour présenter mes condoléances. Ecartez-vous ». Que nous soyons Sud-Coréens ou Nord-Coréens, nous n’oublierons jamais vos actes.
Nous ne connaissons pas d’autres personnes qui ont œuvré pour notre histoire et notre langue aussi sérieusement que vous. En effet, la langue et l’histoire représentant l’esprit d’un peuple, la perte de celles-ci entraînerait la disparition de ce peuple. Monsieur le Président, vous avez étudié durant toute votre vie la langue et les écrits de notre peuple, vous avez enseigné leur bon usage et vous nous avez montré l’exemple en le pratiquant vous-même. Lorsque nous avons été confrontés à la polémique due au dongbukgongjeong, cette politique chinoise visant à récupérer l’histoire des autres peuples de la région du nord-est (dongbuk) de l’actuelle Chine pour glorifier la grandeur de la Chine, vous avez sillonné la Chine à la recherche des vérités relatées dans les ouvrages Chosunsangosa (Histoire antique de Chosun) et Whandangogi (Histoire antique de Whandan). Riche de grandes connaissances, aussi bien sur l’Occident que sur l’Orient, aussi bien sur l’Antiquité que sur notre époque, connaissant parfaitement le latin, l’anglais et les caractères chinois, vous avez exposé, maintes fois, du point de vue du peuple, des opinions excellentes et originales. Votre enseignement constituera sans doute, pour nous, chercheurs suivant vos pas, d’importants critères pour favoriser la conservation et le développement des caractères autonomes et nationaux.
Monsieur le Président, vous êtes le symbole même du combat mené pour le retrait des Yankees et la réunification fédérale de la Corée. Considérant que les Yankees sont responsables de la division de la Corée et de ce malheur touchant le peuple coréen, vous avez consacré vos dernières années au mouvement pour le retrait des Yankees. Convaincu que la réunification en un Etat fédéral constitue l’unique moyen permettant à la Corée de retrouver son unicité et de devenir un pays riche, vous avez tout sacrifié pour ce mouvement de réunification fédérale. Pour cette unique raison, vous avez accepté d’assumer le poste de Président de l'Alliance pan-coréenne pour la réunification, pour lequel vous avez été maintes fois emprisonné par les autorités. Ainsi, vous êtes devenu, pour nous tous, notre Président éternel. Occupant, comme résidence et comme QG de bataille, un minuscule local situé près de l’ambassade américaine, vous avez éclairé l’authenticité de notre époque et le destin de notre peuple, tout en menant votre combat au moyen de grèves de la faim, en dormant sous la rosée ou en goûtant aux vents glaciaux. Monsieur le Président, vous resterez éternellement présent dans le cœur de tous les patriotes combattant pour la libération et la réunification de notre peuple et de tous les résistants luttant pour la démocratie et contre la dictature. Vous renaîtrez ainsi toujours dans chaque combat de rue et sur chaque champ de bataille de la résistance.
Monsieur le Président, votre voix tonitruante résonne à travers tout notre pays. Vos dernières paroles étaient : « Aujourd’hui, le peuple est devenu l’acteur principal de notre époque. Regardez la lutte populaire du 19 avril et celle de juin ! Sans le peuple, il n’existe aucun acteur capable de redresser notre pays. Chassons ensemble l’assassin Lee Myung-bak par un second soulèvement populaire de juin ! » Nous n’avions jamais entendu de telles paroles qui ont su réchauffer nos cœurs. Votre mort a réveillé le peuple et amplifie ainsi le cri de votre cœur qui fait trembler les ennemis de la démocratie et les ennemis de la réunification autonome. Oui, c’est cela ! Le destin du régime de Lee Myung-bak, qui a incité notre ancien Président Roh Moo-hyun à se suicider et qui a poussé l’ouvrier Park Jong-tae vers la mort, compte maintenant ses derniers jours. Enfin, ce 10 juin, la ville de Séoul vibre encore des slogans du peuple annonçant un second soulèvement populaire de juin. Le peuple patriotique coréen, solidaire, que vous aimiez tant, est en train de scander fort, d’une seule voix avec vous : « Chassons l’assassin Lee Myung-bak par un second soulèvement populaire de juin ! » Monsieur le Président Kang Hui-nam, entendez-vous le cri du peuple prêt à combattre ? Tous vous recherchent. Revenez-nous vite, Monsieur le Président Kang Hui-nam, avec votre traditionnel manteau blanc dont les manches, emportées par vos résolutions énergiques, flottent dans les airs !
Texte publié le 10 juin 2009 par l’Institut de Recherches coréennes du 21ème siècle (Corea21)
Traduction : Corea21
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