Au milieu de toutes les déclarations officielles concernant la dénucléarisation de la Corée du Nord et la levée d'une partie des sanctions américaines, quel peut être l'avis de l'opinion publique nord-coréenne elle-même? On peut en avoir une première idée grâce à Kang I-ruk, correspondant à Pyongyang du quotidien des Coréens du Japon Choson Sinbo dans lequel est paru l'article suivant.
Les habitants de la capitale nord-coréenne, Pyongyang, en particulier ont prêté une grande attention à cette information. Un "tournant ouvrant la voie à une ère nouvelle" et susceptible de transformer une relation faite de confrontation et de méfiance en une relation de coexistence pacifique, est ainsi l’opinion majoritairement répandue chez les habitants.
Méfiance profonde
A leurs yeux, les Etats-Unis sont capables de ne pas tenir une promesse, comme ils l'ont fait en de multiples occasions.
Les Etats-Unis ont ainsi dénoncé unilatéralement l'Accord-cadre qu'ils avaient signé avec la RPDC en octobre 1994. Par cet accord, les Etats-Unis s'étaient engagés à fournir une centrale nucléaire à eau légère (LWR) à la RPDC avant 2003 en échange du gel du réacteur nord-coréen existant et des installations liées, dans l'attente de leur démantèlement. Suite à cet accord, la Corée du Nord remplissait ses obligations en continuant d'adhérer au Traité de non-prolifération (TNP).
Mais le temps a montré que le texte de l'accord de 1994 n'était qu'une promesse vide faite par l’administration Clinton en attendant la chute du régime nord-coréen. Quand, avec l'assistance d'autres pays, les Etats-Unis ont entamé, tardivement, les travaux de la centrale LWR en 1997, il n'était plus possible de respecter l'échéance de 2003.
Après l’arrivée au pouvoir de l’administration Bush, les Etats-Unis ont totalement dénoncé l'accord. En octobre 2002, l'envoyé spécial du président Bush en Corée du Nord, déclara que la RPDC avait "reconnu officiellement son programme d'enrichissement de l’uranium" et provoquait une "seconde crise nucléaire" en Corée (*). Cette "bonne raison" justifiait de ne plus fournir le fioul promis ni de construire de centrale à eau légère.
Plus tard, des pourparlers réunissant les deux Corée, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon aboutissaient à la déclaration conjointe du 19 septembre 2005, indiquant la voie et les moyens pour parvenir à la dénucléarisation de la péninsule coréenne. Les Etats-Unis étaient obligés d'y participer. Mais peu après avoir signé la déclaration du 19 septembre, les Américains appliquèrent une autre sanction, financière, contre la Corée du Nord, ce qui conduit à un nouveau blocage des négociations.
Toujours la volonté d’agir
En octobre 2006, après l’essai nucléaire nord-coréen, les pourparlers à six ont repris et des contacts entre les Etats-Unis et la RPDC ont pu avoir lieu. A cette occasion, les Nord-Coréens ont émis une exigence importante : que les Etats-Unis abandonnent leur politique hostile vis-à-vis de la Corée, politique qui avait amené à l’essai nucléaire de 2006, et montrent leur bonne volonté non en paroles mais en "actes concrets".
Ce principe "action pour action" a régné tout au long des négociations entre les Etats-Unis et la RPDC pour devenir, aux yeux des Nord-Coréens, le critère essentiel permettant d’analyser et de juger l'état de leurs relations avec les Américains.
Les habitants de Pyongyang sont très attentifs à ces "actes concrets" dans le cadre des pourparlers à six, les actions entreprises par les Américains ayant souvent été différentes des déclarations initiales. Mais, pour les Pyongyangeois, les Américains donnent maintenant le "bon exemple" de ce qu'il faut faire pour parvenir à la dénucléarisation de la péninsule coréenne.
Les événements de ces dernières années, à l'instar de la "seconde crise nucléaire", ont asséné une leçon importante : les accords bilatéraux entre Coréens et Américains peuvent toujours être dénoncés dès qu’il y a violation du contrat entre les deux pays.
Mais la déclaration conjointe du 19 septembre 2005 a été permise grâce au dialogue multilatéral, à la différence de l'Accord-cadre de 1994. Comme pour les autres pays participant aux négociations, le respect de leurs obligations par les Etats-Unis doit absolument être vérifié par la communauté internationale.
Les habitants de Pyongyang disent que si la déclaration conjointe du 19 septembre est respectée, il ne sera plus possible que les Américains "forcent" les Coréens.
Ils sont persuadés que leur pays honorera les promesses faites à la communauté internationale. Mais si la Corée bouge, les Etats-Unis doivent aussi bouger.
Les habitants de Pyongyang pensent clairement que la situation est en train d'évoluer. Ils connaissent par cœur la réponse du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, mais c'est surtout cette phrase qui retient leur attention : "Ce qui est important pour l’avenir, c'est que les Etats-Unis renoncent complètement à leur politique hostile vis-à-vis de la Corée, raison pour laquelle nous avons développé l'arme nucléaire."
Choson Sinbo
30 juin 2008
Lien vers l'article original
(*) NdT : il s'agit du sous-secrétaire d’Etat James Kelly qui a rapporté que des responsables nord-coréens lui avaient avoué l’existence d’un programme d'enrichissement de l'uranium lors de sa visite d’octobre 2002 à Pyongyang. Cet "aveu" a été nié par la Corée du Nord pour qui Kelly a compris sa déclaration du droit à un programme d'enrichissement de l'uranium comme une déclaration de l'existence d'un tel programme. Cette mauvaise interprétation a conduit les Etats-Unis à suspendre leurs engagements de l’Accord-cadre de 1994, et incité en retour la Corée du Nord à se retirer du Traité de non-prolifération au cours du mois de janvier suivant et à reprendre son programme nucléaire militaire.
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