Depuis la tentative de coup d'Etat perpétrée par le président Yoon Seok-yeol (Parti du pouvoir au peuple, PPP, conservateur), la République de Corée (Corée du Sud) est en crise politique. Après qu'une motion de destitution a été adoptée par les députés à l'encontre du président Yoon, ce dernier a été suspendu de ses fonctions dans l'attente d'une décision de la Cour constitutionnelle qui statuera définitivement. Dans cette attente, l'intérim des fonctions de chef de l'Etat a été exercé par le Premier ministre Han Duck-soo, mais seulement pendant 13 jours, du 14 au 27 décembre 2024 : en effet, une motion de destitution à l'encontre de Han Duck-soo a été adoptée par le Parlement sud-coréen, le Gukhoe, le 27 décembre.
Un chef d'Etat peut-il impunément renverser un régime démocratique et rester en fonctions ? Oui, si la justice tranche en ce sens... Or, en République de Corée, ce sont les neuf membres de la Cour constitutionnelle qui devront se prononcer à la majorité qualifié d'au moins six juges. Dans une tentative désespérée pour s'accrocher au pouvoir, les conservateurs avaient trouvé la parade : le président par intérim refusait de procéder à la nomination de trois membres de la Cour constitutionnelle, suivant les propositions d'un Parlement dominé par l'opposition - si bien qu'il aurait suffi que, parmi les six juges en fonctions, un seul se prononce contre la constitutionnalité de la motion de destitution adoptée par le Parlement pour que Yoon Seok-yeol revienne en poste, comme si de rien n'était.
Dans ce contexte, les députés ont annoncé qu'ils adopteraient une motion de destitution à l'encontre du président par intérim, le Premier ministre Han Duck-soo. Mais si une majorité qualifiée des deux tiers des députés est clairement requise pour l'adoption d'une motion de destitution à l'encontre d'un président de la République élu, ce seuil de majorité s'applique-t-il en cas d'intérim des fonctions présidentielles ? Oui, selon le PPP, non, selon le président de l'Assemblée nationale Woo Won-shik, pour qui une majorité simple (151 députés sur 300) suffit... La motion de destitution a été adoptée par les 192 députés de l'opposition, pour une série de motifs dépassant la seule question de la nomination de nouveaux juges constitutionnels, et faisant plus largement référence aux manoeuvres d'obstruction des conservateurs - selon les démocrates - dans les suites à apporter à la tentative de coup d'Etat. Selon Yonhap :
Dans le texte de la motion de destitution contre le président par intérim, le Parti démocrate a critiqué Han pour son refus des motions pour des enquêtes spéciales sur les affaires impliquant Kim Keon Hee, l'épouse du président Yoon, et sur la mort d'un caporal des Marines, ainsi que pour complot, approbation tacite et délaissement volontaire des actes d'insurrection, tentative de gouvernance conjointe du pays avec Han Dong-hoon (l'ancien chef du parti au pouvoir), refus de la nomination d'un procureur indépendant permanent pour l'enquête sur l'insurrection et refus de nommer des juges constitutionnels.
Si le chef du PPP a annoncé qu'il saisirait la Cour constitutionnelle d'un vote selon lui illégal, le Premier ministre a pris acte que ses fonctions de président par intérim étaient suspendues dans l'attente d'une décision de la Cour constitutionnelle, qui devra donc se prononcer également sur cette seconde motion de destitution. Choi Sang-mok, vice Premier ministre et ministre de l'économie et des finances, a immédiatement commencé à exercer l'intérim des fonctions présidentielles.
Le paradoxe du système politique sud-coréen est que le Gouvernement ne reflète pas la majorité politique de l'Assemblée nationale. Après avoir échoué aux élections législatives du 10 avril 2024, le président Yoon Seok-yeol avait refusé le verdict des urnes en continuant de choisir des ministres conservateurs et en opposant son veto aux textes adoptés par les démocrates majoritaires au Parlement - y compris sur le budget pour l'année 2025, ce qui l'avait amené à décréter la loi martiale en prenant prétexte d'une prétendue instabilité intérieure et extérieure. Il avait notamment tenté - en vain - de provoquer une escalade avec la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), en multipliant les survols de drones au dessus de Pyongyang. Le ministre de la Défense, le général Kim Yong-hyun, aurait planifié ces opérations. Kim Yong-hyun a ensuite été placé en détention, suspect d'avoir proposé au président Yoon de décréter la loi martiale puis d'avoir ordonné l'assaut contre le Parlement. Risquant la peine de mort, Kim Yong-hyun a tenté de se suicider immédiatement après son arrestation, le 10 décembre 2024.
Si l'équilibre des pouvoirs en République de Corée est inspiré de celui américain, l'impossibilité de parvenir à des compromis transpartisans en montre clairement les limites. Le très conservateur, très autoritaire et très impopulaire président Yoon est l'un des responsables majeurs de cette impasse politique. Dans un régime démocratique, seules trois issues sont envisageables : soit un changement des pratiques politiques, en imposant au chef de l'Etat une cohabitation avec un Premier ministre ayant le soutien d'une majorité de députés ; soit une élection présidentielle anticipée, en faisant trancher les électeurs (mais les conservateurs du PPP, en très mauvaise posture dans les sondages, retardent au maximum une telle échéance) ; soit une révision constitutionnelle (qui suppose toutefois l'approbation de 200 députés sur 300), qui donnerait au président de la République des fonctions comparables à celles, par exemple, de son homologue allemand, ou du roi d'Espagne.
Principale source :
La motion de destitution contre le président par intérim Han a été adoptée (Yonhap)
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