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18 mai 2024 6 18 /05 /mai /2024 11:19

Chercheuse spécialisée sur les questions de nucléaire civil et militaire, membre (entre autres) de l'Institut international d'études stratégiques de Londres, Marie-Hélène Labbé, par ailleurs auteur d'ouvrages sur l'Iran et l'Irak, a fini sa tournée des pays naguère classés comme constituant l'Axe du mal : elle a publié en juin 2023 aux presses universitaires de la Sorbonne un court ouvrage (147 pages) de format poche, intitulé Une péninsule coréenne ? Des enjeux pour la Corée. Derrière ce titre accrocheur (suggérant l'idée - un brin provocatrice - d'une Corée in fine réunifiée dotée de l'arme nucléaire), Marie-Hélène Labbé a signé un court essai synthétique, très pédagogique, faisant le bilan de la question nucléaire pour les deux Corée. 

"Une péninsule nucléaire ?" : une éclairante synthèse de la question nucléaire coréenne par Marie-Hélène Labbé

La question coréenne est généralement mal traitée, car l'analyse est trop souvent lourde de formules et de clichés qui confortent les a priori. C'est tout à l'honneur de Marie-Hélène Labbé de sortir des ornières du sensationnalisme pour traiter la question nucléaire coréenne de manière réaliste, sous ses différents aspects (les enjeux stratégiques sont indissociables de ceux diplomatiques et économiques) et dans sa globalité - y compris les démarches, finalement inabouties, entreprises par la République de Corée (Corée du Sud) de se doter de la plus puissante arme de destruction massive jamais créée. La République de Corée dispose en effet d "une évidence nucléaire latente" (Mark Fitzpatrick, cité p. 90). En outre, selon la chercheuse trois raisons pourraient conduire la République de Corée à se doter de l'arme nucléaire : "la multiplication des provocations nord-coréennes", "la crédibilité de la dissuasion élargie américaine", l'hypothétique "acquisition de l'arme nucléaire par le Japon".  

C'est toutefois le programme nucléaire de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) qui constitue le thème majeur de l'ouvrage. Puisant aux meilleures sources des analyses occidentales (les auteurs sud-coréens et japonais, pour des raisons sans doute linguistiques, apparaissant en revanche peu cités ou utilisés), Marie-Hélène Labbé examine les causes de la nucléarisation de la RPDC (chapitre 1er) puis ses étapes (chapitre 2). L'analyse est la plus poussée quand elle replace la dissuasion nucléaire de la RPDC dans un contexte géopolitique global, au regard des puissances nucléaires avérées (Chine, Russie, Etats-Unis, chapitre 3) et potentielles (Japon, République de Corée, chapitre 4), avant ce titre volontiers provocateur du chapitre 5 : "la bombe, et alors ?", puis de conclure sur l'hypothèse d'une Corée unie disposant de l'arme nucléaire :

N'est-il pas temps d'arrêter d'essayer d'obtenir la fin de la nucléarisation nord-coréenne ? Les armes nucléaires consolident le système héréditaire, accroissent l'autorité de Kim Jong-un, légitiment pour Pyongyang les efforts demandés à la population et s'inscrivent dans le juche.

Op. cit., p. 127.

Si l'hypothèse d'une réunification semble aujourd'hui irréaliste, elle est pourtant plus envisageable qu'il n'y paraît (...) La réunification, c'est aussi une aubaine (...) Une Corée réunie combinerait statut nucléaire et puissance économique. La nouvelle entité disposerait des forces nécessaires à son existence, à son autonomie et à son développement. Elle se serait émancipée, du moins dans une large mesure, de la tutelle des grands parrains chinois et américain.

Op. cit., p. 128

Il est audacieux pour Marie-Hélène Labbé de ne pas s'être limitée à une analyse du passé et du présent (selon nous d'excellente facture) et d'avoir aussi tenté un exercice de prospective périlleux, l'exposant à des critiques de toutes parts. Des Nord-Coréens tout d'abord, dont les points de vue et les analyses sont d'ailleurs interprétés plus que cités, alors qu'elle souligne par ailleurs l'échec du développement économique de la RPDC et que les autorités nord-coréennes condamnent désormais les discours sur la réunification. Marie-Hélène Labbé s'inscrit aussi en porte-à-faux avec les tenants d'une position davantage idéaliste dans les relations internationales et qui considèrent que, à défaut d'abolir les armes nucléaires (pour les plus idéalistes d'entre eux), la priorité doit être, en tout cas, de contraindre par tous les moyens des Etats tels que la RPDC à renoncer à leurs armes nucléaires - quand bien même les sanctions n'ont pas conduit au résultat espéré d'une dénucléarisation de la RPDC et que l'hypothèse d'une guerre - et même d'attaques ponctuelles - n'est manifestement pas davantage souhaitée par les Etats-Unis, le Japon ou encore la République de Corée.  

Pour notre part, nous n'aurons pas la prétention de conclure ni de départager les uns et les autres dans des débats trop souvent passionnels. Il suffit d'observer qu'un ouvrage relevant de la catégorie des essais formule souvent des hypothèses : Marie-Hélène Labbé expose ainsi un point de vue qui a le mérite d'être étayé, même s'il s'inscrit en porte-à-faux avec les orientations actuelles d'à peu près tous les gouvernements impliqués dans la question coréenne. Mais au regard du blocage sur la question coréenne, il est légitime de s'interroger sur les moyens d'avancer autrement sur le chemin de la paix et du désarmement dans la péninsule coréenne : l'auteur apporte sa contribution à ce débat. 

Marie-Hélène Labbé, Une péninsule nucléaire ? Des enjeux pour les Corée, Sorbonne Université Presse, Paris, 2023. 147 pages. Collection "Les Essais de la Sorbonne". ISBN 979-10-231-0760-9. 8,90 euros.

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