Créateur des cryptomonnaies Luna et TerraUSD, le Sud-Coréen Do Kwon (de son nom complet d'état civil Kwon Do-hyung) a été l'une des personnalités les plus puissantes et les plus écoutées du monde des crypto-monnaies. Mais l'effondrement de Luna et de Terra en mai 2022 - l'un des plus spectaculaires de l'économie des crypto-monnaies - a précipité sa chute. Do Kwon est aujourd'hui un homme traqué, poursuivi pour fraude dans plusieurs pays - non seulement la République de Corée (Corée du Sud), qui a demandé son extradition du Monténégro où il vient d'être interpellé, mais aussi, entre autres, les Etats-Unis - où le 23 mars 2023 la justice l'a inculpé pour pour huit motifs de fraude, lui faisant encourir une peine de cent ans de prison. Toutefois, la colère des investisseurs ayant cru en Luna et Terra, et qui ont pour certains tout perdu, ne doit pas occulter les aspects complexes d'une faillite où les responsabilités des différents acteurs restent à établir par la justice à l'issue d'une procédure contradictoire.
En avril 2022, la valeur des cryptomonnaies Luna et Terra atteignait 100 milliards de dollars et leur créateur, Do Kwon, comptait un million de suiveurs sur Twitter. L'ancien diplômé en informatique de l'Université Stanford était alors considéré comme l'une des personnalités de référence de l'univers des cryptos.
Le principe retenu était que Terra - ou plus exactement TerraUSD (acronyme : UST) - constitue un stable coin, à la valeur garantie par parité avec le dollar, afin de répondre aux fluctuations du cours des crypto-monnaies. Lancée en avril 2019, Luna permettait d'assurer la stabilité du cours de Terra, comme l'avait ainsi expliqué Clémence Tanguy dans un article du Café de la Bourse :
Lorsque l’UST valait plus que 1$, des tokens LUNA étaient détruits pour augmenter l’offre d’UST. À l’inverse, lorsque l’UST valait moins de 1$, des tokens LUNA étaient achetés grâce à la réduction de l’offre d’UST.
Terra et Luna formaient ainsi un couple de crypto-monnaies - dont le sort était lié. La stabilité du cours de Terra était assurée non pas par des réserves en devises (à la différence d'autres stable coins), mais par l'algorithme utilisé, permettant d'effectuer des arbitrages en fonction de l'offre et de la demande. L'ambition était de mettre en place un financement par les crypto-monnaies indépendant des marchés classiques : à cette fin, Do Kwon et ses associés avaient créé la société Chai, permettant des paiements en ligne en utilisant Terra. La société Terraform, créatrice de Terra et de Luna, était aussi devenue l'un des principaux détenteurs de Bitcoin, appliquant le principe too big to fail selon lequel un établissement bancaire de première importance ne peut pas disparaître, au risque sinon de compromettre toute la chaîne de financement. Si Terraform était atteint, c'est toute l'économie des cryptos qui vacillait. Enfin - et surtout - un protocole de rendement, nommé Anchor, avait été lancé à l'été 2021, offrant aux détenteurs de Terra des rendements de l'ordre de 20 %. Ce taux élevé avait précipité l'intérêt des investisseurs - mais fait soupçonner la constitution d'une pyramide de Ponzi, dans laquelle ce sont les nouveaux entrants qui rémunèrent les investisseurs déjà présents. Une rupture dans les apports ou des demandes massives de retrait rendent alors le dispositif non viable. Anchor a représenté jusqu'à 70 % du montant des UST en circulation.
Et, de fait, en seulement six jours, en mai 2022, les valeurs de Terra et de Luna se sont effondrées. Do Kwon a soupçonné des fuites internes à l'entreprise pour justifier les retrait de plusieurs investisseurs de premier plan. Mais ce n'était pas la première fois que la parité avec le dollar n'était plus assurée. Toutefois, ni des apports de fonds, ni l'utilisation d'une réserve de Bitcoins se chiffrant en milliards de dollars n'ont cette fois-ci pu enrayer le processus de faillite, suivant le schéma classique de panique bancaire (bank run) dans lequel les clients retirent leurs dépôts en craignant une insolvabilité. Au final, Luna, qui était la 9e crypto-monnaie par le montant de sa capitalisation, a perdu 99,9 % de sa valeur, tandis que la parité de Terra avec le dollar avait disparu. Les pertes ont été estimées à quelque 45 milliards de dollars pour Luna et Terra, et à près de 80 milliards de dollars pour l'ensemble des crypto-monnaies.
Restant résolument un entrepreneur, Do Kwon a alors lancé de nouvelles monnaies, Luna 2.0 et Terra 2.0. Mais les investisseurs floués ont engagé des actions en justice - jusqu'à l'arrestation récente au Monténégro de Ko Kwon, qui était muni de faux papiers belges et costaricains et s'apprêtait à partir pour Dubaï. Selon le jury fédéral américain l'ayant inculpé, il lui est reproché d'avoir
volontairement trompé les investisseurs sur de nombreux aspects de la blockchain Terra, parmi lesquels la technologie utilisée et l’ampleur de son adoption par les utilisateurs
Selon Gurbir Grewal, un des responsables du "gendarme" américain des marchés financiers, la Securities and Exchange Commission (SEC), le système de l'entreprise Terraform Labs
constituait simplement une fraude gonflée par un pseudo “stablecoin” algorithmique, dont le prix était contrôlé par les accusés, et pas par un quelconque code informatique
Si les accusations sont lourdes, elles restent à instruire. Dans une économie des crypto-monnaies peu ou pas régulée - et les règles ne sont pas les mêmes selon les pays, Terraform étant d'ailleurs basée à Singapour - les investisseurs ayant cru à des rendements annuels de 20 %, pour de simples actifs numériques, ont sans doute fait preuve de naïveté. Il faudra aussi déterminer dans quelle mesure Do Kwon et ses associés de Terraform - également mis en cause - connaissaient l'ampleur des risques encourus et ont communiqué à ce sujet. C'est un principe général de droit, quelle que soit la (ou les) juridiction(s) nationale(s) qui ser(ont) finalement saisies : l'élément intentionnel du délit doit être établi. Le précédent du Français Mark Karpelès, qui gérait la plateforme de crypto-monnaies Mt Gox et finalement condamné à une peine de prison avec sursis pour manipulation de données (très en-deçà des réquisitoires initiaux), mérite d'être pris en compte pour éviter d'établir des conclusions hâtives, alors que la faillite du couple Terra-Luna a engendré des drames parmi des investisseurs ayant sincèrement cru à un nouveau paradigme économique et financiers. Et Do Kwon compte d'ailleurs encore des partisans, qui se sont eux-mêmes appelés... les Lunatics.
Sources :
Chute de Terra (Luna) : comment cette crypto s'est effondrée ?
Depuis le 9 mai 2022, le marché des crypto monnaies connaît une situation critique, marquée par la panique de nombreux investisseurs. La crise du Terra s'est manifestée avec une rapidité et un...
https://www.cafedelabourse.com/crypto/terra-chute-blockchain-terra-luna
Inside Crypto's Largest Collapse with Terra's Do Kwon
Three months ago, Do Kwon was a multi-billionaire on paper. He had a million followers on Twitter. And he commanded a sprawling crypto empire nearing $100 billion in value, which had seemed to ...
https://www.coinage.media/s1/inside-cryptos-largest-collapse-with-terras-do-kwon
Do Kwon, le fondateur de la cryptomonnaie Terra, inculpé pour fraude par les Etats-Unis
Un jury fédéral de New York a retenu, jeudi, pas moins de huit chefs d'inculpation contre l'homme de 31 ans, arrêté dans la journée au Monténégro. La Corée du Sud, son pays d'origine, a dem...