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27 décembre 2022 2 27 /12 /décembre /2022 12:53

Disparu le 25 décembre 2022, Cho Se-hui était né le 20 août 1942 à Gapyeong, dans la province de Gyeonggi. L'un des auteurs coréens les plus lus, il a été traduit et publié en France par Actes Sud.  Son oeuvre la plus connue, La petite balle lancée par un Nain, relève du genre littéraire du soseol yeonjak, recueil de nouvelles indépendantes écrites à la fin des années 1970 et qui décrivent l'envers du miracle économique (dont témoigne également le suicide en 1970 de Jeon Tae-il) sud-coréen en s'inscrivant dans une veine réaliste. Il a reçu en 1979 le prix Dong-in pour La petite balle lancée par un Nain, racontant la vie du nain Kim Puli et de sa famille, qui exercent des métiers précaires les usant physiquement et mentalement, et expulsés du fait de la reconstruction du quartier où ils vivent à Séoul.  Interrogé par le journaliste du Monde Philippe Pons en 1995, il soulignait le rôle social de l'écrivain en préférant se définir comme un  témoin engagé dans la peinture des souffrances sociales : « Vous voulez écrire un article sur un romancier mais je ne me suis jamais considéré comme un écrivain. C'est la souffrance qu'inflige cette société qui me pousse à écrire, à témoigner : une responsabilité de citoyen en quelque sorte. » Nous reproduisons ci-après un extrait de son roman Le Nain, publié en septembre 1995 par Le Monde diplomatique.

Disparition de Cho Se-hui, un géant de la littérature coréenne

Bien que nous travaillions dans la même usine, nous ne nous rencontrions jamais. Tous les ouvriers travaillaient de façon isolée. Les dirigeants vérifiaient et prenaient note de la qualité et de la quantité de production de chacun. Ils nous disaient de manger en dix minutes et d’utiliser les vingt minutes restantes à taper dans un ballon. Nous allions sur un petit terrain pour frapper comme des sourds dans une balle. Sans pouvoir nous mêler vraiment les uns aux autres, nous n’arrivions qu’à suer un bon coup. Nous travaillions sans répit. L’usine ne faisait que nous demander. Nous travaillions jusqu’à la nuit dans une atmosphère épaisse et un bruit assourdissant. Bien sûr, nous ne mourions pas sur place, mais la combinaison des conditions de travail sordides, de la quantité de sueur dépensée et du dérisoire de notre paie mettait nos nerfs à vif.  En conséquence, ceux d’entre nous qui étaient encore jeunes voyaient leur croissance retardée. Les intérêts de la société étaient toujours contraires aux nôtres. Le président parlait sans cesse de « dépression ». Lui et ses hommes utilisaient cette « dépression » pour mettre en place leur exploitation. Le reste du temps, il parlait des grandes richesses qu’eux et nous, les ouvriers, allions créer en travaillant dur. Le genre d’espoirs dont il parlait n’avait aucun sens pour nous. À la place de ces espoirs, nous aurions espéré des navets séchés bien assaisonnés sur la table de la cantine. Rien ne changeait. Tout empirait. Au lieu de deux promotions par an, qui étaient la règle, nous n’en avions plus qu’une. La prime de nuit a été considérablement baissée. Ils ont licencié quelques ouvriers. Le travail des autres a été alourdi d’autant et les heures allongées. Le jour de paie en particulier, nous faisions attention à ce que nous disions. Il n’était pas possible de se faire confiance les uns les autres. Ceux qui se plaignaient des conditions injustes étaient chassés tranquillement. Mais par ailleurs la dimension de l’usine croissait. Ils ont installé des rotatives, des plieuses automatiques et des presses offset. Le patron a déclaré que la société faisait face à une crise. Il disait que si nous perdions la compétition contre nos concurrents, il faudrait fermer les portes. C’était cela que nous craignions le plus. Le patron et ses hommes le savaient.

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