Il y a un an, le Président américain Donald Trump menaçait de "détruire complètement" la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) à la tribune des Nations Unies. Lors du débat général de la 73e session, qui s'est ouvert le 25 septembre 2018, le ton a radicalement changé - alors que les deux Etats coréens se sont engagés, depuis le début de l'année 2018, dans un processus accéléré de rapprochement et ont plaidé conjointement pour la dénucléarisation, la paix et la sécurité collective dans la péninsule coréenne. L'Association d'amitié franco-coréenne examine les déclarations et positions adoptées par trois des protagonistes du dossier coréen dans le contexte de la session 2018 de l'assemblée générale : les Etats-Unis d'Amérique, la République de Corée et le Japon.
Donald Trump, entre enthousiasme réel et répétition à la tribune des éléments de langage préparés par son administration
Le 26 septembre, dans le contexte de l'assemblée générale des Nations Unies, Donald Trump a fait état d'une "lettre extraordinaire" qu'il a reçue du Président Kim Jong-un, avant un second sommet dont la préparation conduira à une nouvelle visite du secrétaire d'Etat Mike Pompeo en RPD de Corée dès octobre. Tout en remerciant pour leurs efforts diplomatiques la Corée du Sud (il avait reçu le Président Moon Jae-in le 24 septembre), la Chine et (plus curieusement, effet de l'alliance nippo-américaine ?) le Japon, le président américain a exprimé sa conviction que la RPD de Corée était déterminée à avancer sur la voie de la paix et de la prospérité :
Je viens de montrer une lettre que j'ai reçue hier du dirigeant Kim, qui est une lettre extraordinaire (...) J'ai reçu d'autres lettres du dirigeant Kim. Il veut voir se réaliser des choses formidables pour la Corée du Nord, pour en faire une puissance économique, et ils ont le potentiel pour accomplir cela (...) Je crois que le dirigeant Kim Jong-un, un homme que j'ai appris à connaître et à aimer bien, veut la paix et la prospérité pour la Corée du Nord (...) Beaucoup de choses se passent dans les coulisses, loin des médias, ce que personne ne sait, mais elles se produisent néanmoins et elles se déroulent de manière très positive. Je pense donc que vous aurez de très bonnes nouvelles en provenance de Corée du Nord dans les mois et les années à venir.»
Conscient que fixer une date butoir pour la dénucléarisation de la RPD de Corée (comme l'y appellent les faucons de son administration) est le meilleur moyen de faire échouer le dialogue avec Pyongyang, le Président Donald Trump a déclaré, lors d'une conférence de presse, qu'il refusait de se laisser prendre dans un "jeu du calendrier", et que l'essentiel était de poursuivre le moratoire sur les essais nucléaires et balistiques (auxquels il semble avoir assimilé les tests d'engins spatiaux, dont les finalités sont pourtant très différentes) :
Si cela prend deux ans, trois ans ou cinq mois, peu importe. Il n'y a pas de test nucléaire et il n'y a pas de test de fusées.
Ces propos font écho aux déclarations du Président Kim Jong-un rapportés par des officiels sud-coréens, selon lesquels le dirigeant nord-coréen envisagerait une dénucléarisation de la péninsule coréenne avant la fin du mandat de quatre ans du président américain (soit fin 2021). Cette date butoir n'a toutefois été confirmée ni par des sources nord-coréennes, ni dans le cadre du dialogue américano-nord-coréen. Elle est revanche crédible avec la volonté probable de Pyongyang d'éviter qu'un changement éventuel de locataire à la Maison Blanche ne remette en cause la pérennité du processus engagé.
En même temps, le discours de Donald Trump devant les Nations Unies - probablement écrit par ses conseillers - a été en revanche très conventionnel, sans aspérités ni déclaration marquante, en réaffirmant surtout qu'il n'y aurait pas de levée des sanctions avant l'achèvement du processus de dénucléarisation de la Corée du Nord. Une telle affirmation est le meilleur moyen de faire échouer le dialogue avec Pyongyang, et correspond à une constante du discours américain actuel.
Moon Jae-in : favoriser la pleine intégration de Pyongyang sur la scène internationale
Soucieux de convaincre les autres membres des Nations Unies de la nécessité de prendre en compte la nouvelle priorité accordée par la RPD de Corée à l'économie, le Président Moon Jae-in a exhorté la communauté internationale à aider à la pleine intégration de la RPD de Corée :
Le 20 avril, la Corée du Nord a officiellement mis fin à sa politique de développement nucléaire et concentre à présent tous ses efforts dans le développement économique (...) La Corée du Nord est sortie d'elle-même de son long isolement pour s'ouvrir à nouveau au monde (...) Maintenant, il est temps pour la communauté internationale de répondre au nouveau choix et aux efforts de la Corée du Nord.
S'agissant des relations inter-coréennes, Séoul a d'ailleurs formulé de nouvelles propositions : le 27 septembre 2018, Kim Young-choon, ministre de la Pêche et des Océans, a fait part de la possibilité - discutée avec ses interlocuteurs nord-coréens - de créer une zone de pêche commune près de la frontière maritime occidentale ainsi que de moderniser certains ports nord-coréens.
L'appel à saisir la main tendue par Pyongyang s'adressait en premier lieu aux pays qui n'ont toujours pas établi de relations diplomatiques complètes avec la RPD de Corée - parmi lesquels les Etats-Unis, le Japon et la France. Le Japon a exprimé sa volonté d'améliorer les relations bilatérales avec Pyongyang, tandis que la France, une fois de plus, a occulté la question coréenne dans l'intervention à la tribune d'Emmanuel Macron.
Shinzo Abe : pour une rencontre avec Kim Jong-un, vraiment ?
Le Japon étant manifestement soucieux de ne pas être à la remorque des Etats-Unis en se faisant marginaliser sur le dossier nord-coréen, son Premier ministre Shinzo Abe a exprimé sa volonté d'un sommet avec le dirigeant nord-coréen, mais en le limitant visiblement à un unique objet - le rapatriement des Japonais enlevés par les services nord-coréens il y a plusieurs décennies, et constituant un dossier que Pyongyang tend à considérer comme ayant été réglé.
Pour pouvoir résoudre le problème des enlèvements, je suis également prêt à mettre fin à la méfiance mutuelle avec la Corée du Nord, prendre un nouveau départ et rencontrer en face-à-face le président Kim Jong-un.
Mais le Japon est-il sincère dans sa volonté de dialogue avec Pyongyang - Shinzo Abe ayant quand même dû préciser qu'aucun sommet n'est en cours actuellement ? On peut en douter, tant le Japon a été en pointe, au cours de l'année 2017, pour sanctionner toujours davantage la Corée du Nord, et au regard de l'opportunité qu'ont alors constitué les tensions autour de la péninsule coréenne pour que le Premier ministre conservateur dissolve la chambre basse et élargisse sa majorité - en surfant sur un discours violemment anti-RPDC.
Sans répondre à la proposition japonaise, le Rodong Sinmun, quotidien du Parti du travail de Corée, a répondu que le Japon devait d'abord s'excuser pour ses crimes de guerre (des millions de travailleurs forcés, des centaines de milliers d'esclaves sexuelles et également des centaines de milliers de conscrits malgré eux à la fin de la colonisation japonaise) et apporter des compensations - comme il l'a fait par ailleurs sur ce point en 1965, lors de la normalisation des relations diplomatiques entre Séoul et Tokyo :
Notre peuple n'a pas oublié les péchés commis dans le passé par le Japon, même maintenant (...) Sans repentance, excuses et compensations pour les péchés du passé, (le Japon) ne pourra pas vivre avec confiance dans la communauté internationale.
La porte au dialogue n'est pas fermée. Mais Tokyo devra encore faire un effort pour l'ouvrir.