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8 août 2018 3 08 /08 /août /2018 17:47

Les élections locales du 13 juin 2018 en République de Corée se sont soldées par une victoire sans précédent des démocrates au pouvoir(parti Minjoo) et un effondrement historique du Parti de la Liberté de la Corée (PLC, conservateur). Si les démocrates ont indéniablement profité d'un contexte international favorable marqué par la détente sur la péninsule coréenne, au lendemain du sommet historique à Singapour entre les Présidents Donald Trump et Kim Jong-un, le verdict des urnes a aussi sanctionné la ligne ultra-conservatrice du dirigeant du PLC, Hong Joon-pyo, adversaire résolu du dialogue inter-coréen, qui a quitté la direction de son parti. Toutefois, cette évolution de la scène politique n'apparaît pas relever de l'accident de parcours : deux mois après les scrutins locaux le vent politique continue de souffler à gauche en Corée du Sud. En effet, non seulement les progressistes n'ont jamais obtenu autant d'intentions de vote dans les enquêtes d'opinion, avec une percée au sein du bloc progressiste du Parti de la Justice (social-démocrate, opposition) dans un pays où les idées de gauche ont toujours été ultra-minoritaires, mais les conservateurs ont choisi comme président de leur comité d'urgence un transfuge démocrate, Kim Byong-joon, qui fait ouvertement l'apologie de l'ancien président démocrate Roh Moo-hyun.

Politique sud-coréenne : le vent souffle à gauche

Dans la dernière enquête d'opinion de l'institut de sondages Realmeter, rendue publique le 6 août 2018 (graphique ci-dessus), les progressistes obtiennent un nombre record d'intentions de vote :

- toujours largement en tête, les démocrates du parti Minjoo (progressiste, au pouvoir), devancent de plus de 25 % leurs principaux concurrents (42,8 %) ; la grande majorité des sièges du Parlement sud-coréen étant pourvus au scrutin majoritaire uninominal à un tour, si les élections législatives se tenaient aujourd'hui, le parti du Président Moon Jae-in bénéficierait donc d'un raz-de-marée ;

- les conservateurs du Parti de la Liberté de la Corée ne sont plus crédités que de 17,6 % des intentions de vote, talonnés par les sociaux-démocrates du Parti de la Justice (14,3 %) ; si ces derniers bénéficient d'un regain de sympathie après le suicide dramatique de Roh Hoe-chan, une inversion des courbes n'est plus à prévoir, surtout si l'on considère qu'aux dernières élections locales les conservateurs obtenaient encore trois fois plus de voix que le Parti de la Justice ; si le Parti de la Justice devenait la principale force d'opposition en Corée du Sud à l'issue des élections législatives prévues en 2020, il en résulterait une forte pression sur les démocrates pour infléchir leur politique dans un sens plus social et plus favorable aux libertés démocratiques ;

- le transfuge démocrate Ahn Cheol-soo, qui a fait une alliance de circonstances avec des dissidents conservateurs au sein du Parti Bareunmirae, n'apparaît pas aujourd'hui comme une alternative crédible (5,8 % des intentions de vote) : le tournant à droite de la girouette politique qu'est Ahn Cheol-soo lui a aliéné le soutien des progressistes (dont une fraction a fondé le Parti pour la paix et la démocratie, crédité de 2,8 % des intentions de vote), sans élargir sa base électorale en direction des conservateurs ;

Si le Parti de la Justice représente en Corée du Sud la gauche la plus modérée au sein du paysage politique (plus proche en France du Parti socialiste ou d'EELV que de la France insoumise), c'est la première fois qu'une formation mettant au premier plan la justice sociale recueille autant d'intentions de vote depuis le début des années 2000 (le Parti démocratique du travail avait alors été crédité au maximum de 18 % des intentions de vote, avant de recueillir 13 % des voix lors des élections législatives de 2004). Une alternative de gauche aux démocrates au pouvoir devient donc une option politique crédible en Corée du Sud. 

Signe de la prise de conscience des conservateurs qu'ils doivent changer de logiciel politique, ces derniers ont choisi comme président de leur comité d'urgence le modéré Kim Byong-joon, qui a été un collaborateur du Président (démocrate) Roh Moo-hyun, dont il considère qu'il doit être un modèle pour les conservateurs.

Kim Byung-joon fleurissant la tombe de l'ancien président démocrate Roh Moo-hyun, le 30 juillet 2018

Kim Byung-joon fleurissant la tombe de l'ancien président démocrate Roh Moo-hyun, le 30 juillet 2018

Kim Byung-joon a été encore plus loin en critiquant ouvertement le général président Park Chung-hee, qui avait mis en place le régime plus autoritaire qu'ait jamais connu la Corée du Sud... et père de l'ancienne présidente Park Geun-hye, destituée sur fond de corruption et de dérive autoritaire, qui purge aujourd'hui une peine de 32 ans de prison - mais dont la faction conserve des partisans au sein du Parti Saenuri (conservateur).

Si la ligne politique qu'entend incarner Kim Byung-joon ne signifie nullement un ralliement à la majorité démocrate (le nouveau leader des conservateurs met sur le même plan Park Chung-hee et le président en fonctions Moon Jae-in, en les taxant tous deux de "nationalisme"), elle représente une inflexion autour d'une défense du libéralisme économique, marqueur traditionnel d'une partie (au moins) de la droite modérée dans les démocraties occidentales. Les conservateurs vont-ils abandonner leur tendance à se positionner comme les défenseurs de l'ordre prétendument anticommuniste (en réalité, anti-Corée du Nord), pro-militaires et pro-valeurs puritaines incarnées par certaines églises évangélistes, incluant l'héritage de la junte militaire qui a dirigé pendant des décennies la Corée du Sud et des lois liberticides, dont certaines toujours en vigueur en Corée du Sud (comme la loi de sécurité nationale) ? Les débats internes au parti conservateur promettent d'être âpres, et rien ne permet de prédire que Kim Byung-joon ne sera pas mis en minorité, ou a minima devoir composer avec des opposants internes et mettre de l'eau dans son vin. Mais la promesse existe, pour la première fois, que l'exercice du pouvoir par les conservateurs en Corée du Sud ne soit plus synonyme, sinon de régime autoritaire, du moins d'une dérive autoritaire du régime politique - comme cela a été le cas sous les présidences Lee Myung-bak (2008-2013) et Park Geun-hye (2013-2017). 

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