L'île volcanique de Jeju, au sud de la péninsule coréenne, a connu une longue tradition d'auto-gouvernement, dans lequel les plongeuses de l'île ont joué un rôle important. Après avoir été un des bastions de la résistance à l'occupation japonaise, Jeju s'est dotée, à la Libération, d'un comité populaire qui a représenté le vrai gouvernement de l'île jusqu'en 1948 - alors que les comités populaires du reste de la partie sud de la péninsule étaient démantelés par l'administration militaire américaine. Mais la répression dans un bain de sang des manifestations gigantesques du 1er mars 1947, jour anniversaire du soulèvement du 1er mars 1919 et auxquelles auraient participé 50 000 insulaires (sur une population de 300 000 personnes), conduite par les forces de police aux ordres des Etats-Unis, accélère le cours des événements, en entraînant le déclenchement d'une grève générale le 14 mars 1947 - suivie à plus de 95 %. Les autorités d'occupation américaine réagissent en dépêchant des forces de police supplémentaires ainsi que des groupes paramilitaires qui se distinguent par leur extrême violence : issus de la Ligue de la jeunesse du nord-ouest, ils sont constituée de jeunes anticommunistes venus de la partie nord de la péninsule. Le Parti du travail (communiste), qui domine désormais le comité populaire de Jeju (et dont les services secrets américains estime que ses membres représentent au moins 20 % en 1948 de la population de l'île), encouragé par le Parti du travail sud-coréen dirigé par Pak Hon-yong, refuse la tenue des élections séparées dans la seule moitié sud de la péninsule prévues le 10 mai 1948. Cinq semaines avant le processus électoral, une action coordonnée est lancée par 3 500 insurgés contre la Ligue de la jeunesse du nord-ouest et 11 des 24 commissariats de police de l'île. Cette date marque le début officiel du soulèvement de Jeju. D'anciens collaborateurs des Japonais sont également tués.
L'offensive atteint son but premier : l'île de Jeju est le seul endroit du sud de la Corée où les élections ne peuvent pas se tenir le 10 mai 1948 - le taux de participation est si faible que les deux sièges réservés à Jeju sont laissés vacants. Mais l'administration militaire américaine est décidée à mater la rébellion : entre fin mars et mi-mai 10 000 habitants de l'île sont arrêtés et un régiment militaire ainsi que des forces de police supplémentaires, constitués chacun de 1 700 hommes coréens, sont envoyés à Jeju. Le lieutenant-général Kim Ik-ryeol reçoit l'ordre de pratiquer la politique de la "terre brûlée".
Mais Kim Ik-ryeol choisit au contraire de négocier avec les rebelles : il conclut un accord avec Kim Dal-sam, qui dirige le Parti du travail dans l'île. Toutefois, l'accord est menacé par le massacre de partisans retournés à Orari et tués par les forces de police (crime que les Américains font passer comme ayant été perpétré par les insurgés). Surtout, si l'accord avait été approuvé par le colonel américain Mansfield (des responsables américains étaient arrivés dans l'île le 29 avril pour permettre sa mise en oeuvre), ses supérieurs le désapprouvent : le général Dean oppose son veto et une épuration violente de l'administration sud-coréenne est justifiée par la défection du gouverneur civil de Jeju, un Coréen conservateur choisi par l'administration américaine qui a rejoint les insurgés le 29 avril. Accusé de sympathies communistes, le lieutenant Moon Sang-gil est exécuté sommairement à Séoul, de même que trois sergents à Jeju, qui tous travaillaient pour les forces militaires américaines.
Après l'échec de l'accord avec la guérilla, celle-ci se replie à l'intérieur de l'île, notamment autour du mont volcanique Halla et dans les forêts, tandis que les zones côtières sont sous le contrôle du gouvernement - grâce notamment à la flotte américaine, qui opère un blocus en positionnant l'USS John R.Craig le 12 mai. Les affrontements avec la police sont violents et iront crescendo.
En effet, devenu Président de la République de Corée le 15 août 1948 à l'issue des élections législatives du 10 mai boycottées par la plupart des forces politiques, Syngman Rhee est déterminé à éradiquer le soulèvement. Néanmoins, les élections à l'Assemblée populaire suprême, réunie à Pyongyang en septembre et organisées clandestinement dans la partie sud de la péninsule le 25 août, se tiennent avec un certain succès à Jeju : la guérilla revendique un taux de participation de 85 % (77,52 % pour l'ensemble de la Corée du Sud selon le Parti du travail), quand des sources américaines évoquent une participation de 25 % du corps électoral - en tout état de cause bien supérieur à celui des élections du 10 mai. Parmi les 1 002 délégués sud-coréens qui se réunissent ensuite à Haeju pour désigner les députés à l'Assemblée populaire suprême, 5 sont originaires de Jeju - dont Kim Dal-sam, qui rejoindra finalement la moitié nord de la péninsule en mars 1949.
Le 20 octobre 1948, des soldats se mutinent et tuent leurs supérieurs, refusant d'aller combattre les habitants de Jeju.
Le 17 novembre 1948 la loi martiale est décrétée dans l'île : l'afflux de forces du continent, ainsi que de membres des groupes paramilitaires, qui pratiquent le viol et la torture et en profitent pour s'enrichir en accaparant les terres de ceux qu'ils éliminent, réduisent progressivement les positions des insurgés, mal armés, malgré l'offensive lancée le 1er janvier 1949. Les forces gouvernementales lancent une campagne d' "éradication" en mars 1949, tuant indistinctement femmes et enfants parlant le dialecte de Jeju. Le 17 août 1949, le principal dirigeant de la guérilla, Yi Tuk-ku, est tué : les insurgés ont perdu la bataille, et ne regagneront pas le terrain perdu malgré l'envoi en mars 1950 de soldats par la Corée du Nord, pour relancer - en vain - le mouvement de guérilla.
Les massacres commis à Jeju, essentiellement par les forces gouvernementales et para-militaires équipées et soutenues par les Américains qui portent aussi une lourde responsabilité dans les massacres en ayant fait échouer l'accord trouvé en avril 1948, ont longtemps été un sujet tabou dans l'île : les évoquer était un crime, exposant à la torture et à de lourdes peines d'emprisonnement. Un courant révisionniste conservateur sud-coréen continue de justifier l'action des forces gouvernementales menée principalement entre 1947 et 1950 (mais ces massacres se sont poursuivis jusqu'en 1954) par la lutte selon eux nécessaire contre la "subversion" communiste - alors qu'il est acquis que le soutien local de la guérilla dépassait très largement les seuls rangs de la gauche, et a fortiori des communistes du Parti du travail.
La commission vérité et réconciliation, mise en place par les administrations démocrates (1998-2008), a recensé - de manière par nature incomplète - 14 373 victimes, dont 86 % par les forces gouvernementales et 14 % par les rebelles. Par extrapolation, le nombre de morts couramment admis est de 30 000 (les estimations les plus hautes étaient de 60 000 à 70 000 morts), pour une population de 300 000 habitants dans l'île en 1948. La majorité des villages ont été détruits, les forêts ont été rasées. Des preuves des massacres - comme dans la grotte de Darangshi - sont encore retrouvées, des décennies plus tard. Aux habitants de l'île tués s'ajoutent ceux qui ont fui, principalement au Japon où se seraient réfugiés 40 000 insulaires, dont Kim Sok-bom, écrivain né en 1925 dont l'oeuvre - notamment le roman fleuve L'île du volcan - est notamment consacrée au soulèvement de Jeju (son roman La mort du corbeau a été traduit en français et publié par L'Harmattan en 2000). Le film Jiseul, de 2012, est consacré au massacre de Jeju.
Le 31 octobre 2003, le Président Roh Moo-hyun a présenté des excuses pour les massacres qui ont été commis à Jeju - mais l'indemnisation des victimes reste largement à conduire. Les particularités propres aux insulaires de Jeju ont fait qualifier le massacre de ses habitants en 1948-1949 de génocide, notamment par l'historien américain Bruce Cumings.
Principale source : George Katsiaficas, Asia'sunknown uprisings : South Korean social movements in the 20th century, PM Press, 2012, Oakland, Californie, pp. 86-97.