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5 mars 2018 1 05 /03 /mars /2018 20:37

Le 5 mars 2018, une délégation de la République de Corée (Corée du Sud), conduite par  Chung Eui-yong, chef du bureau de la sécurité nationale de la présidence de la République, et Suh Hoon, qui dirige l'agence nationale de renseignement (National Intelligence Service, NIS) s'est rendue en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) pour une visite d'un peu plus de 24 heures. Le soir de leur arrivée, les membres de la délégation sud-coréenne ont été invités à dîner par le Président Kim Jong-un. Comment interpréter cette première rencontre depuis 2011 entre le dirigeant nord-coréen et une délégation sud-coréenne en visite en RPDC, et que peut-on en attendre ? 

Le chef de la délégation sud-coréenne, Chung Eui-yong, lors d'une conférence de presse tenue avant son départ pour le Nord

Le chef de la délégation sud-coréenne, Chung Eui-yong, lors d'une conférence de presse tenue avant son départ pour le Nord

Cette visite, qui s'inscrit dans le cadre du réchauffement des relations intercoréennes depuis l'annonce par le Président Kim Jong-un dans son discours de Nouvel An qu'une délégation nord-coréenne participerait aux Jeux olympiques de Pyeongchang, répond d'abord à des questions protocolaires : après que le Président sud-coréen Moon Jae-in eut reçu des délégations nord-coréennes pour les cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux, et qu'une lettre d'invitation à visiter le Nord du Président Kim Jong-un lui a été remise par Kim Yo-jong, directeur adjoint de département du Parti du travail de Corée, lors d'un dîner, il était attendu qu'à son tour le Président Kim Jong-un reçoive une délégation de haut niveau sud-coréenne, et qu'elle lui transmette un message écrit du Président Moon Jae-in. 

Si l'agence nord-coréenne KCNA a simplement annoncé dans de très brèves dépêches la visite prochaine de la délégation spéciale du président sud-coréen (4 mars) puis son arrivée (le 5 mars), en indiquant le nom et la fonction du chef de délégation, les Sud-Coréens ont été (un peu) plus précis, en annonçant les thèmes des discussions qu'ils entendent aborder. En outre, la radio nord-coréenne a aussi précisé que la délégation avait été accueillie, lors de son arrivée à l'aéroport de Pyongyang-Sunan un peu avant 15h, par Ri Son-gwon, qui préside la Commission pour la réunification pacifique de la Corée et dirigeait la délégation nord-coréenne lors de la rencontre de haut niveau à Panmunjeom, en janvier dernier, pour la participation de la RPDC aux Jeux olympiques et paralympiques. 

Lors d'une conférence de presse juste avant son départ pour Pyongyang, le chef de la délégation sud-coréenne avait souligné les trois thèmes qu'il entendait aborder : 

Je projette d’avoir des discussions approfondies sur les divers moyens de continuer les pourparlers non seulement entre le Sud et le Nord mais aussi entre le Nord et les Etats-Unis et la communauté internationale.

La double thématique des relations Nord-Sud et des relations intercoréennes (et, singulièrement, des relations Etats-Unis-Corée du Nord), n'a rien d'exceptionnel si l'on considère l'historique des relations entre le dirigeant suprême de la RPD de Corée et des délégations sud-coréennes en visite à Pyongyang :
- le 4 mai 1972, lors d'une rencontre entre le Président Kim Il-sung et Lee Hu-rak, qui préparait le communiqué conjoint Nord-Sud du 4 juillet 1972, pierre angulaire du rapprochement intercoréen ;
- en mai 2000, entre le Dirigeant Kim Jong-il et Lim Dong-won, pour finaliser le sommet intercoréen de juin 2000 ;
- en avril 2002, à nouveau entre le Dirigeant Kim Jong-il et Lim Dong-won, pour évoquer les relations intercoréennes ainsi que la situation internationale, marquée par le durcissement de la position américaine après que George W. Bush eut inclus la RPD de Corée parmi les pays de "l'axe du mal" ; 
- en juin 2005, entre le Dirigeant Kim Jong-il et Chung Dong-young, ministre de la Réunification, dans le contexte des pourparlers à six (réunissant les deux Corée, la Chine, les Etats-Unis, la Russie et le Japon), cadre pour progresser vers la dénucléarisation de l'ensemble de la péninsule coréenne en contrepartie notamment d'engagements de sécurité pour la RPD de Corée et de garanties d'accès au nucléaire civil ; 
- en août 2007, également entre le Dirigeant Kim Jong-il et Kim Man-bok, avant le sommet intercoréen d'octobre 2007.

A l'exception de la rencontre de 2005, toutes les délégations sud-coréennes ont été conduites par le chef des services de renseignement sud-coréens. Pour la rencontre du 5 mars 2018, le chef de l'agence nationale de renseignement de la République de Corée a le titre de chef adjoint de délégation, pour des raisons protocolaires et d'ancienneté par rapport au chef de délégation, Chung Eui-yong. 

Les personnalités qui composent la délégation sud-coréenne ont la confiance du Président Moon Jae-in et une expérience des discussions intercoréennes, notamment des sommets de 2000 et 2007. Il s'agit également de personnalités ayant des relations personnelles avec les Etats-Unis : agissant de manière ouverte, les autorités sud-coréennes ont d'ailleurs fait savoir qu'elles auraient ensuite des échanges avec les autres parties intéressées aux discussions multilatérales, au premier rang desquelles les Etats-Unis (où se rendront les deux plus hauts membres de la délégation sud-coréennes) et la Chine, tout en ayant d'ores et déjà appelé les Etats-Unis à ne pas placer trop haut la barre pour engager des discussions avec la RPD de Corée. De fait, si le Président Donald Trump a, comme souvent, tenu des propos laissant libre cours à diverses interprétations, les Etats-Unis ne semblent pas exclure par principe le principe d'un dialogue avec les Nord-Coréens. En attendant, en prenant de nouvelles sanctions unilatérales dans un contexte de détente, les Etats-Unis entravent le principe de discussions. 

Après une décennie de relations Nord-Sud dégradées, il est peu probable que des annonces majeures soient formulées à l'issue de cette reprise de contact : même si Séoul devrait chercher à obtenir des engagements sur des opérations concrètes d'échanges Nord-Sud (dialogue militaire, réunions de familles séparées...), à la veille de l'ouverture le 9 mars des Jeux paralympiques de Pyeongchang, chacune des deux parties va chercher à apprécier les intentions de l'autre. Alors que la présidence sud-coréenne parvient à concrétiser la promesse du Président Moon Jae-in d'améliorer les relations Nord-Sud, plusieurs sujets font débat : la dénucléarisation de la RPDC est d'ordinaire considérée à Pyongyang comme un sujet de relations avec les Etats-Unis, et non la Corée du Sud, car touchant à sa sécurité ; les manoeuvres militaires prochaines entre Washington et Séoul pourraient amener Pyongyang à reconsidérer son moratoire de fait sur ses essais nucléaires et balistiques ; enfin, Séoul a conscience qu'un sommet intercoréen n'a de sens que dans un contexte diplomatique et militaire apaisé. 

La rencontre du 5 mars 2018 est donc riche de promesses et d'espoirs, mais sa portée réelle ne pourra être appréciée qu'à moyen terme, sans que tous les détails des échanges (et notamment les positions de discussion de chaque partie) n'aient vocation à être rendus publics.

Sources : 

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