Longtemps, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) a été maltraitée dans les médias, ramenée à quelques clichés véhiculés par des spécialistes n'ayant jamais mis les pieds dans le pays. La récente séquence - des Jeux olympiques de Pyeongchang aux propositions de dialogue de Pyongyang - ont accentué une tendance déjà engagée avant l'apaisement récent des tensions. Le professeur Robert Charvin, doyen honoraire de la faculté de droit et de sciences économiques de Nice, vice-président de l'AAFC, auteur de plusieurs ouvrages sur la Corée et observateur attentif du traitement médiatique de la question coréenne depuis plus de trente ans, livre son analyse dans la tribune ci-après.
Encore un petit effort !
Il y a peu de temps, la Corée du Nord faisait consensus dans les grands médias : ce petit pays avait toujours tort et menaçait le monde. Dans l'éventail politique, de droite à gauche, Pyongyang était toujours coupable (y compris des pires « complots ») et son socialisme n'était pas le bon ! A gauche, il était clair que l'on préférait les socialistes ne socialisant rien plutôt qu'un régime ayant étatisé les moyens de production, fondement d'une collectivisation plus sociale à venir. Et puis la Corée du Nord étant un « petit » pays, il ne coûtait rien à personne de le dénoncer à tout propos.
Ce temps semble passé. Sur nos écrans et nos ondes, n'est plus invité un sinistre rigolo, n'ayant jamais mis les pieds à Pyongyang, armé de seules sources étasuniennes, qui depuis des années avait le monopole des analyses sur la Corée lorsqu'elle était à l'ordre du jour médiatique. On n' entendra plus ses inepties, révélant son inculture et sa mauvaise foi politique. Comme si la tornade des stupidités de Trump sur la Corée, comme sur les autres questions, avait vacciné les médias qui, sans avoir atteint le stade de la guérison, voient leur pathologie nord-coréenne régresser.
Des universitaires compétents (tels le professeur Maurus ou Madame Morillot, par exemple) commencent à intervenir sur les différentes chaînes de radio ou de télévision pour parler avec sérieux de cette Corée du Nord que de si nombreux journalistes, allant dans le sens du vent, ont longtemps si mal traitée sans le moindre scrupule déontologique. Visiblement, les rédacteurs en chef ont renouvelé leur carnet d'adresses. Tous les espoirs sont permis !
Les Jeux olympiques d'hiver en Corée du Sud, qui ont été l'occasion d'un rapprochement entre le Nord et le Sud, malgré l'hostilité des États-Unis, ont perturbé l'agressivité et l'ironie méprisante d'hier pour laisser place à un simple scepticisme sur la « bonne volonté » des Nord-Coréens qui s'affaiblit encore avec l'annonce d'un prochain sommet nord-sud.
Il y a du mieux, décidément : il y a quelques mois, on s'inquiétait dans certaines rédactions d'un « éventuel » débarquement des hordes de Pyongyang sur les côtes étasuniennes, après un « possible » bombardement nucléaire ! Le malheur pour cette bonne presse, c'est que le nouveau Président de Corée du Sud n'a pas la même servilité vis-à-vis des Etats-Unis que l'ancienne Présidente aujourd'hui incarcérée pour corruption et contre laquelle le Parquet de Séoul réclame 30 ans de prison ! A moins d'être naturalisé yankee, comment être plus sud-coréen que les Sud-Coréens eux-mêmes ? La tâche de nos chers médias est ainsi devenue plus complexe et les journalistes prétendument « spécialisés » vont devoir se mettre à travailler sur l'histoire de la Corée, sur le confucianisme et sur la persévérance de Pyongyang à demander à Séoul comme à Washington l'ouverture de négociations !
Sans Pékin et Moscou, les grands voisins pourtant très prudents, n'y aurait-il pas déjà eu liquidation par les forces « civilisatrices » du Pentagone de ce petit pays qui ose affirmer sa souveraineté face à la première puissance mondiale ! Sous les applaudissements des médias aux ordres...
Désormais, il va peut-être falloir que les braves journalistes, tous « indépendants et d'esprit critique », se mettent à réfléchir sur ces « broutilles » que sont les conséquences sociales, économiques, politiques et culturelles d'un embargo sévère qui dure depuis près de 70 ans, après une guerre dévastatrice, sur un peuple et contre un régime !
Ceux qui écrivent ou bavardent dans les médias vont aller peut-être jusqu'à s'interroger philosophiquement, comme l'a fait Montesquieu, avec ironie, au XVIIIe siècle, à propos des Persans : « Comment peut-on être Coréen du Nord ? ». A l'heure du « monde fini qui commence », vont-ils admettre qu'il soit possible d'être ni Français, ni Européen, ni Occidental et de vivre bien que privés de TF1, de BFM, de la publicité, du Front National, du PSG et de la succession de Johnny, dans un pays sans chômage, où la santé, l'éducation et le logement sont quasiment gratuits.
Dans la presse progressiste elle-même, ira-t-on jusqu'à se rallier à la position de Régis Debray (publiée par l'Humanité du 31.01.2017) : « Quand Marx ne donne pas la main à Bolivar, ça ne marche pas !» ; en remplaçant Bolivar par Confucius et en songeant qu'il a fallu au peuple coréen et au Parti du Travail une sacré capacité de résistance pour survivre et progresser malgré de très faibles moyens, alors que tant d'autres partis sont morts ou moribonds ! Il est vrai que certains « révolutionnaires » occidentaux cultivent la nostalgie et préfèrent les vaincus à ceux qui, tant bien que mal, y compris à l'aide d'un parti unique, ont tenu bon face au reste du monde (y compris leurs alliés) !
La nostalgie est plus confortable, y compris électoralement, que la solidarité à contre-courant !
Ces discrètes mutations médiatiques sont une revanche pour ceux qui ont été pris pour des fous, des dogmatiques, voire des mercenaires, durant de longues années, non seulement par leurs adversaires politiques mais aussi par leurs amis.
Notre espérance renaît si les journalistes dans leur ensemble s'y mettent, même s'ils restent très « prudents » !
Encore un petit effort, Messieurs et Mesdames, et merci d'avance pour quelques nouveaux pas vers plus d'intelligence du réel !
Robert Charvin, 4 mars 2018
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