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27 janvier 2018 6 27 /01 /janvier /2018 23:38

En décembre 2017, Initiative communiste, mensuel du Pôle de renaissance communiste en France (PRCF), a publié sur son site Internet un entretien avec Benoît Quennedey, président de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) - ensuite reproduit dans le n° 188 (janvier 2018) du journal papier, à l'occasion de la parution de son ouvrage La Corée du Nord, cette inconnue (Delga, 2017). Nous reproduisons ci-après cet entretien, qui revient notamment sur le rôle joué par l'AAFC dans le développement des relations France-République populaire démocratique de Corée (RPDC) et la nécessité du combat pour les libertés démocratiques en République de Corée (Corée du Sud), alors que la France est l'un des deux pays de l'Union européenne (avec l'Estonie) à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la RPD de Corée.

L'Association d'amitié franco-coréenne dans "Initiative communiste"

Initiative Communiste : Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’AAFC ?

L’association d’amitié franco-coréenne a été fondée en 1969 et animée par des personnalités venues de différents horizons politiques : des communistes, comme Jean Kanapa et Léo Figuères, des gaullistes comme Louis Terrenoire, ou encore des chrétiens de gauche comme Yves Grenet. Depuis près d’un demi-siècle, nos objectifs sont restés les mêmes : faire connaître la culture et la civilisation coréennes, soutenir les militants sud-coréens dans leur lutte pour les droits politiques et sociaux, lutter pour la paix et la réunification de la Corée, pays divisé à la Libération par le jeu des grandes puissances. Par exemple, concrètement nous avons mené des campagnes pour le soutien de l’apprentissage du français en Corée, établi un parrainage avec une école secondaire à Pyongyang, mis en place des actions humanitaires en collaboration avec des ONG présentes au Nord de la Corée (comme le Secours populaire français) ou encore organisé l’accueil, en 2015, d’une troupe de jeunes handicapés nord-coréens à Paris. Tout en prenant position sur l’actualité coréenne, nous avons dans ce domaine comme objectif premier de faire pièce à une désinformation extrêmement prégnante…

I.C. : Justement, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) est présentée en France comme le pire régime de la planète alors que la République de Corée (Corée du Sud) est qualifiée de démocratie. Qu’en est-il selon vous ?

Sous la présidence de Mme Park Geun-hye, fille du dictateur militaire Park Chung-hee, chassée du pouvoir par la rue après des manifestations de millions de Coréens qui ont aussi eu des échos ailleurs dans le monde (800 manifestants à Paris le 12 novembre 2017, principalement coréens, mais aussi des Français dont beaucoup étaient des militants de l’AAFC), une dérive autoritaire a frappé la Corée du Sud, marquée par l’interdiction en décembre 2013 du principal parti de gauche (le Parti progressiste unifié), à l’issue d’un procès truqué, et l’emprisonnement de dizaines de militants politiques et syndicaux, dont le dirigeant d’une des deux principales centrales syndicales (la Confédération coréenne des syndicats, KCTU), Han Sang-gyun, toujours derrière les barreaux. Si l’alternance politique de mai 2017 avec l’élection d’un président démocrate, Moon Jae-in, a porté un coup d’arrêt  aux atteintes grandissantes aux libertés publiques, la Corée du Sud reste une démocratie autoritaire, où plus de 600 objecteurs de conscience croupissent dans les geôles, dans laquelle la liberté d’expression et la liberté de manifestation sont encadrées et où les services de renseignement agissent toujours comme un Etat dans l’Etat, hors de tout contrôle démocratique. Il est d’ailleurs symptomatique que, depuis quatre ans, au moins sept Sud-Coréens (selon les informations dont nous disposons) ont obtenu l’asile politique en France.

La RPDC est un régime de démocratie populaire, marqué par ses origines de guérilla antijaponaise et où la crainte à tout moment d’une invasion américaine, conjuguée à une empreinte culturelle du confucianisme, a donné naissance à une société fortement hiérarchisée où l’armée est très présente, à la fois comme acteur politique et économique. La figure éminente du dirigeant, héréditaire (Kim Il Sung puis son fils Kim Jong Il et maintenant son petit-fils Kim Jong Un), est aussi un trait culturel qu’on retrouve dans d’autres pays d’Asie de l’Est, mais étranger tant à notre conception française républicaine du pouvoir qu’au marxisme-léninisme stricto sensu, auquel d’ailleurs les Nord-Coréens ne se réfèrent plus. Mais un examen plus détaillé de l’organisation politique et sociale fait ressortir la propriété collective des moyens de production, la gratuité d’un système d’éducation généralisé (y compris sous la forme du revenu étudiant) et l’ascension sociale des classes sociales opprimées (paysans, ouvriers, mineurs) sous le féodalisme puis la colonisation japonaise. En dépit des réformes économiques engagées depuis 2002 qui ont creusé les inégalités et introduit des formes d’économie privée, la Corée du Nord est probablement l’Etat qui, aujourd’hui, est l’héritier le plus direct de la Révolution d’Octobre et de l’Union soviétique.

I.C. : Dans le bras de fer qui oppose les Etats-Unis de Trump à la RPDC qui menace vraiment la paix mondiale ?

La Corée du Nord n’a jamais envahi aucun pays étranger : elle a développé une force de dissuasion nucléaire suivant une stratégie de dissuasion du faible au fort qui a aussi été celle de la France du général de Gaulle. Entièrement détruite par les troupes des Nations unies sous commandant américain pendant la guerre de Corée (1950-1953), elle considère que les précédents irakien en libyen plaident pour le refus du désarmement unilatéral que veulent lui imposer les Etats-Unis.

Donald Trump, pour sa part, menace de détruire la Corée du Nord à la tribune des Nations unies : sans doute une guerre lui permettrait-elle de faire diversion aux échecs rencontrés sur la scène intérieure. Mais, précisément, le potentiel militaire de la Corée du Nord en fait une cible improbable, et un consensus existe parmi les diplomates et les militaires américains pour favoriser un effondrement du pays sous l’effet des sanctions plutôt que d’engager un conflit entre puissances nucléaires qui serait dévastateur.

Or l’enjeu est bien celui des sanctions et de leurs effets terribles sur la vie même des populations : en quelques mois, 90 % du commerce extérieur de la Corée du Nord a été mis sous embargo. La Corée du Nord est désormais le pays le plus sanctionné au monde depuis la création des Nations unies en 1945. Pour ne pas revivre le scénario d’enfants irakiens qui mouraient de faim dans un des pays les plus fortement dotés en hydrocarbures au monde, l’AAFC plaide de manière constante pour une sortie de la crise par le dialogue, en vue de parvenir à établir un régime de paix durable, sans armes nucléaires, dans la péninsule coréenne. Tel est l’enjeu des actions de sensibilisation des pouvoirs publics et de l’opinion que nous menons, ainsi que ces actions de coopération que nous initions pour faire tomber les murs qu’on érige entre les peuples. C’est une action de longue haleine, où chacun peut apporter sa pierre à un édifice qui est celui de la paix et de la solidarité mondiales – comme nous l’avons réaffirmé lors de la conférence internationale que nous avons tenue à Paris, les 23 et 24 juin 2017, en présence des représentants de 12 autres pays que la France.

I.C. : N’est-il pas illusoire de proposer une réunification des deux Corées alors qu’y existent des régimes et des modes de production opposés ?

C’est précisément parce que les systèmes politiques et sociaux sont éloignés qu’il faut surmonter ces différences dans le respect de l’identité de chacune des deux composantes au sein d’une structure envisagée comme confédérale : pas dans une négation des identités ainsi qu’on peut l’apercevoir dans l’Union européenne, mais au sein d’une maison commune qui respecte les régimes et modes de production du Sud et du Nord.

Concrètement, cela passe par des projets économiques menés en commun (comme dans la zone économique de Kaesong, malheureusement fermée en février 2016), les réunions des familles séparées par la division, et des politiques de coopération dans les domaines politiques et culturels… Pendant dix ans, sous les présidences des démocrates Kim Dae-jung (1998-2003) et Roh Moo-hyun (2003-2008) en Corée du Sud, les échanges Nord-Sud ont prospéré, faisant de la Corée du Sud le deuxième partenaire économique et culturel de la Corée du Nord après la Chine. Les deux présidents conservateurs qui ont ensuite occupé la Maison Bleue à Séoul ont ruiné, un à un, les acquis du dialogue intercoréen, qui avait été marqué par des rencontres au sommet à Pyongyang en juin 2000 et en octobre 2007. L’élection de Moon Jae-in en mai 2017 ouvre la porte à une possible reprise de la coopération Nord-Sud, première étape vers une réunification à plus long terme.

I.C. : La France ne reconnaît toujours pas la RDPC et n’a pas de relations diplomatiques complètes avec elle. Est-ce selon vous conforme à l’intérêt de notre pays ?

La France est l’un des deux pays de l’Union européenne, avec l’Estonie, à ne pas avoir établi de relations diplomatiques complètes avec la RPDC : à la délégation générale nord-coréenne à Paris fait pendant le bureau français de coopération à Pyongyang, mais ces postes diplomatiques n’ont pas le statut d’ambassades.

Cette situation, contraire à la tradition diplomatique française de reconnaître les Etats et non les régimes, provient d’une crispation sur la question nucléaire – car  la France n’a pas eu les mêmes scrupules à l’égard d’Israël et du Pakistan, eux aussi dotés de l’arme nucléaire.

La vérité est que la France, faute d’experts dans les cercles de décision et en l’absence aujourd’hui de liens importants avec la RPDC (qu’ils soient économiques, politiques ou militaires), n’a pas de politique nord-coréenne autonome distincte de celles de Washington ou de Séoul, ce qui est évidemment dommageable à nos intérêts économiques ou encore à la diffusion de la langue et de la culture françaises dans l’Asie de l’Est. La conséquence en est que l’AAFC se trouve à être l’interlocuteur des Nord-Coréens sur des projets de coopération universitaires ou humanitaires, ce qui n’est pas la vocation d’une association non gouvernementale. Mais face à ce retrait volontaire de la puissance publique, nous continuerons à porter le flambeau des intérêts français en Corée, chaque fois que possible en bonne intelligence avec les diplomates de notre pays souvent conscients de ces lacunes mais qui ne disposent pas de la marge de manœuvre nécessaire de la part de leur tutelle, faute d’une volonté politique.

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