L'ancien diplomate nord-coréen Thae Yong-ho n'était nullement un familier des cercles dirigeants de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) et il a encore moins une connaissance directe de ce que peuvent penser les Nord-Coréens, dès lors qu'il a passé la plus grande partie des dix dernières années de sa vie à l'étranger en dehors de la Corée du Nord. Il a su toutefois se créer une légende, avec l'aide des services secrets de l'Etat qui l'a accueilli (la Corée du Sud), dans la grande tradition de la guerre froide : celui d'être un "défecteur de haut niveau", dont la parole bénéficie d'une exposition médiatique sans commune mesure avec la connaissance réelle d'un Etat où il n'a plus mis les pieds depuis des années. Cette situation lui garantit ainsi des conditions d'existence avantageuses, à la condition de satisfaire ceux qui sont, selon toute son évidence, son nouvel employeur (et lui assurent en tout cas une protection inaccessible au Sud-Coréen ordinaire), les services secrets sud-coréens (National Intelligence Service, NIS), de sinistre réputation pour leurs atteintes systématiques et répétées aux droits de l'homme. Dans ce contexte, au regard de l'étroitesse des relations tissées entre le NIS et la CIA, il était attendu que Thae Yong-ho se voit garantir un accès aux autorités américaines, en faisant croire qu'il serait un témoin "unique" : il a été longuement entendu par la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants des Etats-Unis. Nous revenons donc ci-après sur les messages - inédits, car prônant un dialogue direct entre Washington et Pyongyang - qu'a entendu faire passer le NIS via un de ses agents d'influence de haut niveau.
Nous ne reviendrons pas sur les banalités alignées par Thae Yong-ho concernant le développement de mécanismes d'économie de marché en Corée du Nord - qui ne sont en aucun cas une nouveauté (les premières mesures économiques prises en ce sens par les autorités nord-coréennes datent d'il y a près de 20 ans) et encore moins une révélation pour toute personne connaissant un peu cet Etat. Nous ne reviendrons pas non plus sur l'énième prédiction d'un effondrement imminent de la Corée du Nord - qui est l'un des airs favoris qu'aiment entonner les néo-conservateurs de tous les pays, du NIS en général et de M. Thae en particulier : plus les années passent sans que les faits ne donnent raison à notre Nostradamus de salon, plus ce dernier se sent obligé d'apporter force détails dans son exercice périlleux de voyance. Naturellement, en bon militant néo-con, Thae Yong-ho prend soin de ne pas incriminer des sanctions sans équivalent au monde qui sont de nature à faire de nombreuses victimes parmi les Nord-Coréens : vivant pour sa part dans un appréciable confort matériel, Thae Yong-ho est un partisan résolu de cette politique. Non, si effondrement il doit y avoir, c'est parce que la révolte gronderait, affirme-t-il doctement, en n'hésitant pas, au passage, à se contredire lui-même : il parle d'un régime de "terreur" - le mot fait toujours mouche, depuis l'exécution de Robespierre par les réactionnaires thermidoriens qui ont été bien plus violents que l'homme qu'ils ont condamné à l'échafaud - mais estime en même temps que le contrôle gouvernemental sur la population s'affaiblit...
Si nous nous intéressons ici aux propos de Thae Yong-ho, agent de haut niveau du NIS, ce n'est pas pour entendre leurs sempiternelles et prétentieuses prédictions, mais parce qu'ils révèlent - ce qui est rare - une mise en cause quasi-explicite de la politique américaine actuelle de l'administration Trump, en encourageant le Président des Etats-Unis à rencontrer son homologue, le Président Kim Jong-un. Selon une dépêche de l'AFP, abondamment reprise dans les médias français :
"Nous devons prendre en compte le sacrifice humain que comporterait l'option militaire", a-t-il prévenu, assurant qu'à la moindre action de l'armée américaine Pyongyang déchaînerait dans l'instant le feu contre la Corée du Sud voisine. Y compris dans le cas d'une frappe préventive limitée, lui a demandé une parlementaire? "Oui", a-t-il asséné, avant de supplier: "avant toute action militaire, il est nécessaire de rencontrer Kim Jong-Un, pour tenter de comprendre sa manière de penser et de le convaincre qu'il sera détruit s'il continue ainsi".
Ces quelques phrases sont capitales, et constituent à notre sens la seule information importante : les services secrets sud-coréens, restés très influents dans le processus de décision politique et militaire à Séoul malgré l'alternance politique de mai 2017, ne veulent pas d'une attaque américaine, même "limitée" - parce qu'ils craignent que leur pays ne soit aux premières loges d'un conflit et qu'elle engendrerait une escalade aux conséquences imprévisibles. Quant à la proposition d'une rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un, sauf à supposer que ce soit un moyen pour l'administration américaine de faire passer un message à la RPDC (ce qui est hautement improbable, car Thae Yong-ho est considéré comme un traître dénué de principes à Pyongyang), elle représente bel et bien le point de vue du NIS, qui cherche ainsi habilement à gagner à sa cause la Chambre des représentants américains. Au moment où l'envie de Donald Trump d'en découdre militairement avec la Corée du Nord fait consensus contre elle dans l'appareil d'Etat américain, et avant la visite à Séoul du numéro un américain, la démarche est intelligente et rejoint les positions de l'Association d'amitié franco-coréenne pour retrouver le chemin du dialogue et de la paix dans la péninsule coréenne.
Source :
Le témoignage "inestimable" de ce dissident nord-coréen sur l'état de son pays
COREE DU NORD - Son témoignage est jugé "unique" au moment où Washington semble hésiter entre diplomatie et option militaire face à Pyongyang: un dissident nord-coréen a assuré ce mercredi 1...
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