Le 13 octobre 2017, l'annonce de profits records (et supérieurs aux prévisions) de Samsung Electronics a coïncidé avec la démission surprise de son dirigeant Kwon Oh-hyun, entraînant un recul du titre de la société de 0,5 % sur la Bourse de Séoul. Alors que les analystes se perdent en conjectures sur l'origine du départ de "Mr Chip", l'un des artisans du succès de la branche phare du chaebol, un rapprochement est effectué avec la condamnation en août dernier, à cinq ans de prison, de l'héritier et dirigeant de fait de Samsung Lee Jae-yong, pour corruption, abus de biens sociaux et parjure. Le petit-fils du fondateur du groupe familial, réputé autant pour son succès économique éclatant (il pèse 23 % du PIB sud-coréen) que pour son autoritarisme et ses atteintes aux libertés syndicales et à la santé des salariés, avait été inculpé en février 2017 dans le cadre de l'affaire Choi Soon-sil - du nom de la gourou de l'ancienne Présidente Park Geun-hye, destituée puis emprisonnée à la suite du plus retentissant scandale de corruption politico-financier de l'histoire de la Corée du Sud. Ainsi, des millions de Coréens avaient battu le pavé pendant des mois pour exiger non seulement son départ du pouvoir, mais aussi le jugement des responsables politiques et financiers impliqués dans l'affaire Choi Soon-sil.
L'annonce, le 13 octobre 2017, des excellents résultats trimestriels de Samsung Electronics aurait dû avoir un impact très positif sur sa valeur boursière : de juillet à septembre 2017, selon les premières estimations de l'entreprise, le bénéfice d'exploitation se serait élevé à 14 500 milliards de won (soit 11 milliards d'euros) pour un chiffre d'affaires de 46 milliards d'euros, soit un triplement par rapport aux résultats obtenus un an plus tôt - dans un contexte alors marqué par les graves défaillances du Galaxy Note 7 - de trop nombreux smartphones ayant pris feu. Samsung Electronics est une filiale à 100 % du groupe Samsung, et son chiffre d'affaires en fait actuellement le numéro 1 mondial de l'électronique grand public, devant Apple.
Or le titre a perdu 0,5 % en une journée sur la Bourse de Séoul. En effet, ce même vendredi 13 octobre 2017, le dirigeant Kwon Oh-hyun, âgé de 64 ans et qui avait rejoint le groupe en 1985 comme chercheur, annonçait, dans une lettre aux salariés du groupe, qu'il quitterait ses fonctions à la tête de Samsung Electronics (et également comme PDG de Samsung Display) en mars 2018, invoquant un nécessaire changement générationnel dans un contexte de "crise sans précédent" :
Maintenant plus que jamais, l'entreprise a besoin d'un nouveau leader et il est temps pour moi de passer au prochain chapitre de ma vie (...) Alors que nous [Samsung ; NDLR] sommes confrontés à une crise sans précédent, je crois que le temps est venu pour l'entreprise de travailler avec un nouvel esprit et un leadership plus jeune afin de mieux répondre aux challenges liés aux changements rapides de l'industrie de l'électronique.
Comme le souligne Yann Rousseau des Echos, l'impact de cette décision doit être mesuré au regard de l'effet d'entraînement de la division des puces mémoires pour la dynamique de Samsung Electronics et, ce faisant, pour tout le groupe Samsung, alors que les pré-commandes du Galaxy Note 8 auraint été les plus importantes jamais enregistrées pour cette gamme de téléphones de Samsung (selon le dirigeant de la branche smartphones, D.J. Koh) :
Samsung Electronics cherche à identifier les moteurs de croissance qui lui permettront, à moyen terme, de maintenir son niveau exceptionnel de profits, jusqu'ici porté par sa domination du marché mondial des composants. Sur le troisième trimestre, la division du groupe en charge de la conception, de la production et de la vente des puces mémoires NAND et DRAM a, encore une fois, été la plus dynamique et la plus profitable tant le groupe domine ce marché. Son unité en charge des dalles de type OLED («organic light-emitting diode») bat aussi des records, grâce aux commandes d'écrans des marques de smartphones premium qui ne peuvent se tourner vers aucun fournisseur alternatif.
Ces branches de Samsung ont d'ailleurs, ces derniers mois, profité des bonnes ventes de la nouvelle génération d'iPhone , auxquels elles fournissent des mémoires ou des écrans. Selon les dernières projections de Counterpoint Technology Market Research, chaque vente d'iPhone X d'Apple à 1.000 dollars rapportera 110 dollars à Samsung Electronics.
Même si Kwon Oh-hyun n'en dit pas un mot, tous les observateurs ont en tête un possible lien avec la récente condamnation à cinq ans de prison de Lee Jae-yong, 49 ans, petit-fils du fondateur du groupe Samsung, Lee Byung-chul, et dirigeant de facto de celui-ci, en raison de l'état de santé du dirigeant de droit, Lee Kun-hee, père de Lee Jae-yong. La crise à laquelle fait allusion Kwon Oh-hyun semble en effet "exclusivement d'ordre politique" (pour reprendre les termes utilisés par Johann Breton dans un article des Numériques), liée à la situation judiciaire de Lee Jae-yeong.
Dans la culture confucéenne propre à l'ensemble de la péninsule coréenne, marquée par le respect des anciens et le culte des fondateurs, il est habituel que les fonctions de direction économique, politique ou encore religieuse se transmettent de génération en génération (par exemple, la présidente sud-coréenne, récemment chassée du pouvoir par la rue, Mme Park Geun-hye, avait construit sa carrière politique et bâti ses réseaux sur l'image de son père le général Park Chung-hee, ayant mis en place le régime le plus autoritaire qu'ait jamais connu la Corée du Sud, à l'origine de milliers de morts, mais dont la présidence avait coïncidé avec le développement économique spectaculaire du pays). Il n'est donc pas si surprenant, pour les Sud-Coréens, que Lee Jae-yong (qui aime se faire appeler Jay Y. Lee, suivant une forme américanisée de son nom) continue de diriger son empire familial depuis sa prison, l'allégeance au leader étant vue comme une vertu cardinale - et c'est d'ailleurs bien en termes de besoins d'un nouveau leader que s'est exprimé Kwon Oh-hyun, de quinze ans l'aîné de Lee Jae-yong. Ne faut-il donc pas voir dans le retrait de Kwon Oh-hyun l'effet d'une disgrâce et d'une décision prise pour Lee Jae-yong pour réaffirmer son pouvoir total sur le groupe alors que sa condamnation (dont il a fait appel, et pour laquelle il plaide non coupable) pourrait être de nature à favoriser la contestation de sa position - tandis d'autres membres de sa famille occupent des fonctions économiques importantes (la soeur de Lee Jae-yong, Lee Boo-jin, est la femme la plus riche de Corée du Sud et dirige la chaîne d'hôtels Shilla) ? En effet, Kwon Oh-hyun était vu comme le numéro trois de l'empire Samsung, après Lee Kun-hee (empêché pour raisons de santé) et Lee Jae-yong (emprisonné). Compte tenu du peu de transparence qui entoure les décisions internes à Samsung (une entreprise capitaliste n'ayant pas vocation à avoir un fonctionnement démocratique), rien à notre connaissance ne permet à ce stade d'étayer cette hypothèse, dans un pays où les fortunes économiques se sont le plus souvent bâties à l'ombre du colonisateur japonais puis avec les protections des régimes autoritaires qui ont tenu le haut du pavé à Séoul pendant quatre des sept décennies ayant suivi la fondation de la République de Corée en 1948.
Sources :
Samsung Electronics gagne 11 milliards d'euros de profits mais perd son patron
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Kwon Oh-hyun, CEO de Samsung Electronics, annonce son départ
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