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28 septembre 2017 4 28 /09 /septembre /2017 19:31

Dans le contexte actuel de tensions autour de la péninsule coréenne, les analyses de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) ont été reprises (par exemple dans un article de L'Humanité qui nous a longuement cités pour dénoncer l'impact des sanctions sur les populations) et nos responsables interrogés : Robert Charvin, vice-président de l'AAFC, a répondu à Initiative communiste, et Benoît Quennedey, président de l'AAFC, à Nice Matin ou encore à Russia Today. Nous reproduisons ci-après le contenu de son entretien à Russia Today, le 27 septembre 2017.

RT France : Des bombardiers américains se sont approchés des côtes nord-coréennes et le chef de la diplomatie nord-coréenne Ri Yong-ho a déclaré au siège des Nations unies que le monde entier devrait se souvenir que «les Etats-Unis ont été les premiers à déclarer la guerre». Un conflit armé est-il proche selon vous ?

Benoît Quennedey (B. Q.) : Aujourd'hui, on ne déclare plus la guerre à un pays comme cela. La déclaration de guerre en droit suppose – du moins dans le droit français – une consultation du Parlement. On en est aujourd’hui pour moi toujours au stade de la guerre verbale, ce qui est en soi est un signe inquiétant, mais il n'y a pas d'action militaire.

Les relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis ont été émaillées de nombreux incidents depuis 1953, à la fin de la guerre de Corée. Il n'y a d'ailleurs pas eu de traité de paix, que l'on attend toujours, mais un traité d'armistice. Il y a eu la capture du Pueblo, le navire espion américain, dans les eaux coréennes en 1968. Il y a eu des affrontements maritimes avec la Corée du Sud, qui ont fait des morts à plusieurs reprises, notamment en 2010 à Yeonpyeong.

Si l'hypothèse d'un conflit armé peut être prise au sérieux face à la montée des tensions et à l'escalade verbale en cours, nous sommes toujours dans le domaine du discours. De chaque côté, il y a une grande fébrilité, une volonté de montrer qu'on est prêt à tout. Par le passé, les Nord-Coréens ont pu tenir des propos beaucoup plus durs, affirmant que, s'ils étaient attaqués, ils noieraient Séoul sous une mer de feu. Ce qui est nouveau c'est que, auparavant, ils disaient «si nous sommes attaqués» et qu'aujourd'hui, ils laissent entendre que la guerre aurait commencé. Mais à mon sens, une guerre se définit par un enclenchement action / contre-action, suivi d'un engagement total ou partiel de forces armées des pays dans un conflit de long terme. Il y a eu la guerre de Corée entre 1950 et 1953. Il y a eu depuis un certain nombres d'actions militaires, mais on n'en est pas encore arrivé au stade de la guerre. 

RT France : Si la Corée du Nord abattait comme elle l'a promis un bombardier américain, cela suffirait-il à déclencher un conflit armé ?

B. Q. : La comparaison avec le Pueblo est peut-être l'exemple le plus parlant. On avait alors eu une longue crise entre les deux pays. Même si on assistait à une action de ce type, cela resterait de l'ordre de l'action militaire et pas de la guerre. Une action militaire même ponctuelle n'est pas encore la guerre, même si, effectivement, on s'en rapproche.

RT France : «Petit homme fusée», «vieux sénile»... Les joutes verbales semblent de plus en plus tourner à l'attaque personnelle entre Donald Trump et Kim Jong-un. Y a-t-il matière à s’inquiéter de la tournure que prend cette crise ?

B. Q. : Par rapport aux termes employés par les Nord-Coréens, il faut comprendre que nous ne sommes pas dans une culture occidentale. On trouve dans les discours des comparaisons ou des termes qui représentent la culture politique de chaque pays. Pour donner un exemple, dans la culture vietnamienne, une des insultes les plus courantes est de comparer les personnes à des animaux, et surtout aux insectes. Ce qui donne souvent, dans les traductions, le terme «vermine». Tout propos doit être resitué dans un contexte politique et culturel. S'agissant de la Corée du Nord, le fait qu'ils aient des propos extrêmement forts vis-à-vis des dirigeants américains n’est pas tout à fait nouveau. Je me rappelle cette formule qui avait à l'époque suscité un tollé : les autorités nord-coréennes avaient comparé Barack Obama à un singe. C'était, à mon sens, une métaphore bestiale que l'on retrouve très souvent dans le discours politique coréen aussi bien du nord que du sud – les Sud-Coréens ont régulièrement décrit des dirigeants nord-coréens sous la forme de cochons. Cela relève du bestiaire, ce n'est pas nouveau ou inédit dans ces cultures. D'ailleurs, la comparaison sur Barack Obama n'avait pas nécessairement de connotation raciste. Ce qui est beaucoup plus nouveau est de voir Donald Trump tenir des propos du même type vis-à-vis d'un autre dirigeant étranger, et cela de manière aussi régulière et répétée, donnant effectivement l'impression que cela tourne à l'affaire personnelle. 

Les Nord-Coréens n'ont pas toujours eu des termes aussi négatifs à son encontre. Pendant la campagne présidentielle américaine, Pyongyang avait dit de Donald Trump qu'il était avisé et sage. J'ai l'impression qu'aujourd'hui la rhétorique employée à son encontre est presque à la hauteur de la déception, de l'agacement. Ensuite, il ne faut pas oublier que, pendant la guerre de Corée, la Corée du Nord a été recouverte de bombes. Chaque famille nord-coréenne compte une victime de ce conflit dans ses membres. Le nombre d'entre elles a atteint un quart de la population du pays. Ces propos sont à la mesure d'un ressentiment qui dure depuis plusieurs générations. En quelque sorte, quand les autorités nord-coréennes visent Donald Trump, elles visent le commandant en chef d'une force armée hostile qui, pour eux, a détruit leur pays et le menace à nouveau des pires châtiments.

RT France : Le nouveau président sud-coréen, Moon Jae-in, n'est pas aussi pro-américain que ses prédécesseurs et son pays serait le premier à souffrir d'un conflit armé. A force de provocations et d'escalades verbales, Donald Trump risque-t-il de perdre un allié de poids dans la région ?

B. Q. : Ce qui est très dommage est que la Corée du Sud, qui serait aux premières loges d'un conflit, a été marginalisée. Quand Moon Jae-in était en campagne électorale, il avait dit qu'il ne fallait pas que la diplomatie de la Corée du Sud s'aligne systématiquement sur celle des Etats-Unis. C'étaient bien sûr des propos de campagne, puisqu'une de ses premières visites en tant que chef d'Etat fut à la Maison Blanche. Néanmoins, la partition politique en Corée du Sud fait que chez les démocrates, dont est issu Moon Jae-in, le sentiment nationaliste est plus ancré. Ils sont pour un dialogue avec le Nord. La dépendance vis-à-vis des Etats-Unis, et notamment la dépendance militaire, est quelque chose qu'ils vivent mal.

La démarche qu'a eue Moon Jae-in quand il a été élu était de dire qu'il fallait poursuivre le dialogue avec la Corée du Nord tout en maintenant l'alliance avec les Etats-Unis. Or, Donald Trump a eu un mot malheureux, quand il y a eu le premier essai balistique intercontinental nord-coréen le 4 juillet, en disant que, désormais, la Corée du Sud se rendait parfaitement compte que cela ne servait à rien de dialoguer avec la Corée du Nord. Il était en train de donner des leçons à un chef d'Etat étranger. Or ce qui caractérise la diplomatie internationale est précisément de dire que tous les chefs d'Etat sont à égalité, qu'ils soient à la tête d'un petit ou d'un grand pays.

Il faut aussi rappeler que l'élection de Donald Trump a été accueillie avec effroi par les Sud-Coréens. Quand on leur demandait pour qui ils auraient voté, 90% déclaraient Hillary Clinton. Il était donc déjà mal perçu par l'opinion publique. Ajoutons à cela le faible tropisme américain de Moon Jae-in... Le risque que court Donald Trump est de voir la Corée du Sud, sans renier l'alliance traditionnelle avec les Etats-Unis, chercher par les voies diplomatiques à se rapprocher de partenaires tiers comme la Russie et la Chine. Deux pays qui, contrairement à ce que l'on dit, ne sont pas pro-Corée du Nord. Il y a la position de la Corée du Nord, celle des Etats-Unis et de leurs alliés – avec plus ou moins de nuance – et enfin il y a la position de la Russie et de la Chine, qui ont plutôt tendance à renvoyer dos à dos les deux premières, appelant chacun à mettre un terme à cette escalade.

Le risque aujourd'hui n'est donc pas que la Corée du Sud, qui est de toute façon liée par des accords militaires, ne suive plus les Etats-Unis, mais que Séoul joue un rôle diplomatique de rapprochement avec d'autres pays, ce qui pourrait contrarier la politique américaine qui est aujourd'hui au durcissement. Moon Jae-in a d'ailleurs clairement dit que, fondamentalement, ni lui ni le peuple sud-coréen ne souhaitaient une escalade ni même une action militaire américaine.

RT France : Quelle stratégie devrait-on suivre selon vous afin d'enfin apaiser la situation ?

B. Q. : Aujourd'hui, ce que proposent les Américains et leurs alliés n'est pas un dialogue mais un diktat. Leur stratégie revient à dire : «Nous allons tellement vous pressurer que vous n'aurez plus de pétrole, vous aurez des risques de famine, votre économie va s’effondrer, on interdit vos échanges et ainsi vous reviendrez forcément à la table des négociations.». Ce genre de méthodes ressemble à celle choisie vis-à-vis de l'Allemagne après la Première Guerre mondiale. Croire que la Corée du Nord, contrainte et forcée, reviendra à la table des négociations, c'est mal connaître le pays qui dans les années 90 a connu une très grave pénurie alimentaire. Il faut aussi comprendre que l'idée que l'arme nucléaire est comme un principe d'assurance-vie du régime est tellement forte à Pyongyang que cette méthode ne peut qu'échouer.

D'ailleurs, les Américains n'ont jamais dit, après le vote des résolutions au Conseil de sécurité, qu'ils avaient un calendrier avec la Corée du Nord, un agenda pour revenir aux négociations, un temps de travail fixé. Au contraire, ils sont dans une logique, presque de politique intérieure, qui est de dire : «Nous ne pouvons pas ne rien faire.» Donald Trump avait dit que jamais les Nord-Coréens ne disposeraient d'une capacité de dissuasion qui puisse atteindre les territoires américains. C'est aujourd'hui le cas. 

A mon sens, la seule façon de revenir à un contexte moins tendu est de renouer un dialogue en prenant en compte les attentes de chaque partie. Celles nord-coréennes sont connues : avoir des garanties de sécurité et ne pas subir le sort de l'Irak en 2003 et de la Libye en 2011. Par conséquent, au moins dans un premier temps, il faut avoir des actions de chaque partie afin de créer des conditions de confiance qui permettront le retour au dialogue. Il faudrait que Pyongyang cesse les tirs de missiles et les essais nucléaires avec un moratoire d'une certaine période. De son côté, Washington devrait arrêter les manœuvres militaires et a fortiori les vols de bombardiers dans le ciel coréen à proximité de la Corée du Nord. Ce n'est pas quelque chose d'impossible puisqu'on l'avait déjà vu dans les années 1990, où les Américains avaient suspendu leurs manœuvres militaires pour justement abaisser les tensions avec la Corée du Nord. Cette politique est raisonnable. Elle est d'ailleurs proposée par la Chine et la Russie, qui sont totalement sur la même ligne.

La principale difficulté désormais est de convaincre les Américains de revenir à une vraie phase de négociations. Dire aux Nord-Coréens qu'on ouvrira un dialogue une fois qu'ils auront abandonné l'arme nucléaire n'est plus possible. La Corée du Nord est de fait un Etat doté de l'arme nucléaire. Elle a des préoccupations sécuritaires qui sont celles de tout Etat souverain.

La question principale, selon moi, n'est pas tant de savoir si on reviendra à une phase de dialogue, car on y reviendra. Toutes les crises autour de la Corée du Nord ont fini par retomber, y compris en 2013. L'important est de savoir si la baisse des tensions sera momentanée, si elle durera six mois, un an ou si on va pouvoir assister au vrai retour d'un cycle de dialogues. Les négociations dans un cadre à six parties – les deux Corées, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et le Japon – sur le nucléaire coréen ont été suspendues il y a maintenant près de huit ans

Dans tous les cas, les Nord-Coréens attendent une chose : un signe de la part des Américains ainsi qu'une prise en compte de leur part de la nouvelle réalité stratégique. C’est d'ailleurs ce qu'avait proposé Xi Jinping, qui avait dit qu'il serait bien que Donald Trump prenne son téléphone et appelle Kim Jong-un pour montrer qu'il l'estime. Quand on est dans l'invective verbale vis-à-vis que quelqu'un, il est difficile de renouer les fils du dialogue.

 

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

 

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