Il y a 45 ans, le communiqué conjoint Nord-Sud du 4 juillet 1972 constituait une étape fondamentale dans la réconciliation et le rapprochement intercoréens, en posant pour la première fois le principe d'une réunification indépendante et pacifique de la Corée par les Coréens eux-mêmes, sans ingérence extérieure, au-delà des différences de systèmes politiques et sociaux. Les deux parties convenaient par ailleurs de mettre en place des structures communes (comité de coordination Nord-Sud) et des canaux d'échanges (avec l'établissement de lignes téléphoniques directes). Cette avancée, réalisée dans un contexte de rapprochement américano-chinois qui ne pouvait qu'accélérer la prise de conscience des Coréens qu'un accord entre les grandes puissances pouvait s'opérer à leur détriment, avait été précédée de plusieurs échanges, dont rend compte le Centre de recherche Woodrow Wilson, qui publie et analyse des documents d'archives de la guerre froide : nous reproduisons ci-après, traduit de l'anglais (en respectant la graphie du texte originel pour les noms coréens, reprenant la translittération en usage au Sud de la péninsule), la première moitié du compte rendu de l'entretien entre Kim Il Sung, alors Premier ministre de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) et Lee Hu-rak, chef des services de renseignement sud-coréens (Korean Central Intelligence Agency, KCIA), le 4 mai 1972, qui conduisait la délégation sud-coréenne à Pyongyang. A plusieurs reprises, Lee Hu-rak fait référence à ses échanges antérieurs avec Kim Yong-ju, Directeur du département de l'organisation du Parti du travail de Corée (PTC). En soulignant alors leur indépendance vis-à-vis des grandes puissances, les Sud-Coréens levaient un obstacle majeur au rapprochement intercoréen, tandis que l'on observe une grande convergence des discours patriotiques et de réunification par des moyens pacifiques de chaque partie. Cet échange montre ainsi que les principes définis dans le communiqué conjoint du 4 juillet résultaient d'une approche commune.
Conversation avec Kim Il Sung
Date et lieu : 4 mai 1972, 00:15 - 01:30
Lieu: résidence de Kim Il Sung, colline Mansu, Pyongyang
Participants :
De Séoul
LEE Hu-rak, Directeur de la KCIA
JEONG Hong-jin, Directeur de la gestion des conférences, bureau des conférences, Croix-Rouge coréenne.
De Pyongyang
KIM Il Sung, Premier ministre
PAK Seong-cheol [Pak Song Chol], second Vice-Premier ministre
KIM Yeong-ju, Directeur du département de l'organisation, Parti du travail de Corée
KIM Joong-lin, secrétaire du Comité central, Parti du travail de Corée
RYU Jang-sik, Directeur adjoint du département de l'organisation et Directeur des affaires extérieures. Comité central, Parti du travail de Corée.
KIM Deok-hyeon, Directeur général du Politburo. Comité central, Parti du travail de Corée.
Sud : J'ai appris que le Premier ministre avait énormément contribué au développement d'une nation socialiste durant ma visite à Pyongyang.
Nord : Je suis très heureux de vous rencontrer. C'est un grand plaisir de rencontrer un frère éloigné. Comment va le Président ?
Sud : Il m'a demandé de vous transmettre ses salutations. Il s'est légèrement blessé pendant une promenade mais il est globalement en très bonne santé.
Nord : Le fait que le Président Park a décidé de vous envoyer à Pyongyang est un témoignage de sa confiance en nous, provenant de sa volonté pour la réunification. Il a pris une grande décision.
Sud : C'est une très bonne remarque. J'ai eu une discussion approfondie à ce sujet avec le Directeur Kim. Comme vous l'avez peut-être remarqué, au Sud, il y a des personnes qui croient que nous devrions nous réunifier avec le soutien des quatre grandes puissances plutôt que par notre propre volonté. Il y a aussi des personnes qui croient que nous devrions nous réunifier par la force. Le Président Park et moi-même pensons que nous devons parvenir à la réunification par nous-mêmes. De plus, la réunification n'est pas un sujet sur lequel les quatre grandes puissances doivent intervenir. C'est une question dont nous devons décider par nous-mêmes. C'est l'intention du Président Park. J'ai longuement discuté de cette question avec le Directeur Kim. Il y avait quelques désaccords. Cependant, je ne suis pas déçu par nos différences d'opinions. Je crois que cette discussion est en elle-même significative. Hier, le Directeur Kim a souligné un point critique. Il a demandé si le Sud agissait comme un agent des Etats-Unis et du Japon. Je l'ai assuré du contraire. Nous croyons que nous devons résoudre ces questions nous-mêmes.
Nord : Tout d'abord, je suis confiant que la décision du Président Park d'envoyer le Directeur Lee à Pyongyang découle de son ardent désir pour la réunification. C'est la raison pour laquelle je suis ravi de vous rencontrer. Bien sûr, il y a beaucoup de malentendus et de méfiance en raison de notre séparation depuis plus de 20 ans. Si ces malentendus et cette méfiance devaient être résolus par quelques discussions, nous n'aurions pas été séparés en premier lieu depuis près de 26 ans. Néanmoins, toutes les questions seront résolues lors de nos rencontres et de nos discussions.
Sud : C'est très vrai. C'est la raison pour laquelle j'ai fait cette visite.
Nord : C'est pourquoi je suis certain que le Directeur Lee est une personne courageuse.
Sud : Ce n'est pas vrai. Je suis venu parce que nous devons laisser une patrie unifiée en héritage à nos descendants. Il y avait beaucoup de gens qui se sont opposés à ma visite. Cependant, je suis convaincu que nous pourrons résoudre les problèmes en discutant par nous-mêmes. Même si nous ne trouvons pas une solution à ces problèmes aujourd'hui, notre réunion en elle-même est très importante. Je ne doute pas que nous pourrons finalement résoudre les questions en suspens entre nous.
Nord : C'est d'une grande importance. Je suis très content que vous ayez fait cette visite, directeur Lee. Vous êtes vraiment un héros.
Sud : Merci de nous rencontrer si tard dans la nuit.
Nord : J'ai l'habitude de travailler jusque tard. Nous avons également nos programmes pour demain ... Je suis désolé de faire travailler les invités jusqu'à si tard. Veuillez accepter mes excuses. J'ai entendu ce que vous avez dit au Directeur de l'organisation et de l'orientation. Notre position est de ne pas faire confiance aux étrangers sur la question de la réunification. Surtout, c'est le terrain d'entente que nous avons entre le président Park et moi-même.
Sud : Cela me blesse le cœur que des étrangers interviennent dans nos affaires. C'est une énorme honte d'être incapable de résoudre par nous-mêmes nos propres problèmes et c'est très humiliant. Comment les étrangers nous regardent-ils ?
Nord : C'est un bon point. C'est pourquoi vous êtes une personne audacieuse.
Sud : J'ai été impressionné par vos combats dans la lutte anti-japonaise décrits dans l'opéra que j'ai vu aujourd'hui et aussi dans la maison où vous êtes né à Mangyongdae. Permettez-moi de vous le dire, votre patriotisme est semblable à mes sentiments pour le pays et c'est ce qui m'a amené ici.
Nord : Veuillez transmettre ce message au President Park. Nous sommes d'accord pour promouvoir la réunification de manière pacifique et indépendante, sans conflit militaire ni intervention étrangère. Depuis que nous avons été séparés il y a si longtemps, il y a eu beaucoup de malentendus. Cependant, les malentendus peuvent être facilement levés par notre patriotisme ardent. Ce qui nous intéresse est de trouver des points communs, pas de discuter des fautes passées. Ce serait péché envers notre peuple.
Sud : Je ne peux qu'être entièrement d'accord avec vous.
Nord : C'est pourquoi notre peuple doit se réunir. Une nation devrait se tenir unie au lieu d'être divisée. Nous devrions vivre en paix, ne pas nous battre les uns contre les autres, indépendamment des grandes puissances qui nous entourent. Pourquoi les gens d'une même nation devraient-ils se disputer sur ce qui est vrai et ce qui est faux ? Si nous devons nous réunifier, nous devons commencer par un terrain commun de solidarité. Si nous poursuivons la solidarité entre nos peuples, nous pouvons rejeter en arrière nos passés, nos malentendus et la méfiance et regarder au-delà des différences de religion. Le principe de solidarité est ce qui importe et nous devons partir de là.
Sud : Ce que vous venez de mentionner est parfaitement identique à ce que le président Park a à l'esprit. Le Président Park mentionne toujours que la question de notre pays n'est pas un sujet sur lequel les étrangers doivent intervenir. En ce qui concerne la résolution de la question de la réunification, il a des pensées similaires à celles du Premier ministre [Kim Il Sung]. Pour atteindre cet objectif, je discuterai avec le directeur Kim pour trouver des points d'accord
Nord : Le directeur Lee aurait certainement une idée sur la méthode et il est probable que nous en aurions une autre. Nous ne pouvons pas espérer que les idées soient les mêmes [d'emblée]. Par conséquent, nous devrions penser à ce que nous pourrions faire pour l'unité de notre nation avant de trouver la méthode. L'idée est donc de ne pas s'engager dans des conflits militaires. Nixon a récemment visité la Chine et a déclaré qu'ils n'auraient pas de conflit militaire pendant [au moins] une génération. Alors, les Chinois lui ont demandé : « Comment définiriez-vous une génération ? » Nixon a répondu : « Je pensais au reste des années 1970, et aux années 1980 et 1990 ». En d'autres termes, ils souhaitent ne pas avoir de conflits militaires pour le reste du 20ème siècle. Bien sûr, les impérialistes disent cela et souvent ne tiennent pas parole. Cependant, une déclaration a de la valeur. Il n'y a pas longtemps, des journalistes japonais m'ont demandé comment je voyais la visite de Nixon en Chine. J'ai répondu :« Jetez un coup d'œil à la Déclaration conjointe. Les États-Unis ont juste reconnu les cinq principes de la paix et les cinq principes de la Conférence de Bandung, qu'ils ont refusés pendant longtemps. Je l'ai lu moi-même et mes assistants l'ont lu également et m'ont signalé que les États-Unis ont reconnu les cinq principes. » Cela signifie quelque chose. Jusqu'à présent, les États-Unis avaient refusé de reconnaître ces principes, mais ils l'ont tout simplement fait. Alors, est-ce que tout cela n'est pas bien ? J'ai écrit un éditorial concernant l'annonce de la Déclaration conjointe. J'ai reçu de nombreux compliments. Lorsque Nixon a visité la Grande Muraille, il a fait cette remarque : « Il ne devrait pas exister de Grande Muraille nulle part dans le monde et nous devrions vivre en paix. » Je pense que c'est un excellent discours. Venant d'un chef d'Etat, c'est certainement un excellent commentaire. Il nous donne la liberté de discuter, si vous ne voulez pas que les Soviétiques forment un grand mur, pourquoi nous diviserions-nous avec une Ligne de Démarcation Militaire, en portant chapeaux sur lesquels il est inscrit “député”. En d'autres termes, personne, y compris Nixon, la Chine et l'Union soviétique, ne doit nous contraindre à aucune décision concernant la Corée.
Sud : C'est absolument vrai. Personne d'autre [que les Coréens] n'a le droit de [prendre une décision sur la question de la Corée]. Comme le Premier ministre l'a mentionné, les capitalistes et les impérialistes parlent d'une manière et agissent d'une autre. Nous sommes également un pays capitaliste. Cependant, nos mots et nos actions sont les mêmes.
Nord : Je parlais des impérialistes. La Corée du Sud n'est pas un pays impérialiste, n'est-ce pas?
Sud : En fait, ce sont les grandes puissances qui ont créé le trente-huitième parallèle. Si nous nous réunissons en une seule nation, nous sommes capables de démolir le trente-huitième parallèle. Si nous tentons de l'abolir avec l'aide des grandes puissances, nous allons bientôt faire face à une autre barrière.
Nord : Exact.
Sud : Monsieur le Premier ministre, je suis venu ici pour éviter que nous nous engagions dans un conflit.
Nord : C'est vrai. Les conflits armés ne résolvent aucun problème. Veuillez transmettre au président Park que je ne souhaite pas une confrontation armée...
Sud : Je rendrai compte de vos déclarations de manière claire et précise.
Nord : Je ne veux aucune guerre ni aucune diffamation.
Sud : J'ai parlé à fond de cette question avec le directeur de l'organisation et de l'orientation.
Nord : On peut parler cent fois de la vertu. Nous devons discuter des questions de notre pays de manière pacifique, sans conflit militaire. En termes de méthodes, il est possible que nous ayons un certain nombre de contentieux. Cependant, nous devons discuter pour résoudre le problème, et nous unir en une seule nation.
A suivre...
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