Taïwan et la RPDC n'entretiennent pas actuellement entre elles de relations diplomatiques. Toutefois l'histoire, l'économie ainsi que le tourisme et le problème des déchets nucléaires, la présence de la Chine Populaire et des Etats-Unis, font que ces deux pays ne sont pas de facto si éloignés que cela. Article rédigé par Florent Charles, docteur en droit.
A) L'Histoire
À la suite de la guerre civile chinoise, le gouvernement nationaliste du Kuomintang se replie sur des îles, dont les principales sont Haïnan et Taïwan. Un exode massif de civils accompagne l'état-major nationaliste et les troupes rescapées : Taipei est proclamée capitale provisoire de la République de Chine.
Alors que les États-Unis avaient reconnu le gouvernement de Tchang Kaï-chek comme le seul représentant légitime de toute la Chine, le président Harry Truman annonce le 5 janvier 1950 qu'ils ne s'impliqueraient pas dans un conflit éventuel entre la Chine populaire et Taïwan. Toutefois, le déclenchement de la guerre de Corée modifie la position américaine au sujet de Taïwan.
Le président Truman déclare le 27 juin 1950 que :
L'attaque sur la Corée fait comprendre clairement que le communisme a dépassé l'utilisation de subversion pour conquérir des nations indépendantes et va maintenant utiliser l'invasion armée et la guerre. Il a défié les ordres du Conseil de Sécurité des Nations-Unies conçu pour préserver la paix et la sécurité internationales. Dans ces circonstances, l'occupation de Formose par les forces communistes serait une menace directe pour la sécurité de la région du Pacifique et aux forces des États-Unis exerçant leurs fonctions légitimes et nécessaires dans ce domaine. En conséquence, j'ai ordonné à la 7ème flotte d'empêcher toute attaque contre Formose. Comme corollaire de cette action, je fais appel au gouvernement chinois de Formose de cesser toutes opérations aériennes et maritimes contre le continent. La 7ème flotte veillera à ce que cela soit réalisé. La détermination du statut futur de Formose doit attendre le rétablissement de la sécurité dans le Pacifique, un accord de paix avec le Japon, ou d'examen par les Nations-Unies.
Ainsi, sans l'intervention des États-Unis Taïwan ne serait pas de facto un État. Par ailleurs, sans l'intervention chinoise dans la guerre de Corée, la RPDC n'existerait sûrement plus.
La RPD de Corée ne doit sa survie qu'à la décision de Mao Tsé-Tung qui s'est débarrassé des nationalistes chinois de jouer un rôle de premier plan en Asie. Ainsi début novembre, près d'une cinquantaine de divisions chinoises franchissent le Yalu. Si officiellement il s'agit de volontaires, dans les faits l'armée chinoise impliquée ressort bien de Pékin. Dans les airs elle est couverte par une aviation aux commandes de Soviétiques qui alignent les fameux Mig 15.
Devant un tel déploiement de forces les troupes de MacArthur ne peuvent que reculer, la RPDC est rapidement libérée par les troupes chinoises. La situation est tellement sérieuse pour les Américains que MacArthur demande au président Truman de faire exécuter des frappes nucléaires sur la Mandchourie. Ces demandes et la radicalité de son engagement anti-chinois lui vaudront d'être remplacé par le général Ridgway. Après avoir frôlé la catastrophe durant l'hiver 1950-1951, les troupes onusiennes et sud-coréennes se ressaisissent et la guerre de mouvement cède peu à peu la place à une guerre de position coûteuse. A l'été 1953 la ligne de front s'est stabilisée non loin du 38ème parallèle. La RPDC et la République de Corée commencent alors leur reconstruction, laquelle sera plus rapide pour la première.
B) L'option taïwanaise
Selon Roger Cavazos ancien membre de l'armée américaine ayant travaillé au contact de nombreux pays d' Extrême-Orient, quand les leaders politiques chinois souhaitent que la RPDC ne soit pas un pays développant des armes de destruction massive, il se peut qu'ils fassent aussi référence au fait que Taïwan puisse obtenir de Pyongyang de telles armes afin de se défendre. Selon Mycal Ford, consultant associé auprès de l'université américaine dans l’État de Washington aux États-Unis, sans aller vers des relations aussi extrêmes entre les deux pays, on peut considérer qu'entre Taipei et Pyongyang existe un minimum d'échanges.
Il est relativement rare d'entendre parler de Taïwan sur la scène internationale sauf lorsque la République populaire de Chine tire des missiles dans le détroit de Taïwan ou tente de s'imposer militairement sur les quelques îles de l'ouest ou du sud de la mer de Chine. Cela ne veut pas dire pour autant que la RPDC ne prend pas acte de l'existence de Taïwan.
Les relations entre les deux États sont à la création de la RPDC quasi-inexistantes. En effet, les chinois nationalistes ont souhaité se battre contre la Corée du Nord lors de la guerre de Corée en aidant les États-Unis et dès l'arrivée des Chinois continentaux à Taïwan la RPDC a préféré se ranger du côté de son allié, Pékin.
Par ailleurs le Parti communiste chinois a toujours été soutenu sur le plan politique par Pyongyang lorsqu'il s'agit de l'unité de la Chine et du problème de la réintégration de Taïwan à l'ONU. La République populaire de Chine a reconnu l’État sud-coréen en 1992 mais la RPDC n'a jamais reconnu le régime de Taipei, un tel acte serait un suicide économique pour Pyongyang.
Régulièrement, Pyongyang condamne les autorités taïwanaises lorsqu'elles souhaitent organiser un référendum concernant le retour de Taïwan à l'ONU et lorsqu'elles tentent de quelque façon que ce soit de rejoindre cette organisation. Un tel référendum toujours selon Pyongyang poserait des problèmes majeurs concernant les relations entre la Chine populaire et Taïwan et déstabiliserait les équilibres géopolitiques extrême-orientaux. La RPDC soutient le principe d'une réunification chinoise basée sur le principe d'une seule Chine et d'un pays deux systèmes.
Mais que se passerait-il si les relations sino-nord-coréennes s'étendaient à Taïwan, si les sinophones de plus en plus nombreux en Corée du Nord avaient la possibilité de communiquer avec Taïwan ?
La RPDC depuis plusieurs années considère sérieusement l'hypothèse de développer ses relations économiques et touristiques avec l'étranger. Avec Taïwan, Pyongyang a de rares relations commerciales non officielles. Pékin interdit tout tourisme entre la Corée du Nord et Taipei. Ces considérations nous font prendre conscience que Taïwan pour la Corée du Nord n'est en aucun cas une alternative commerciale à la Chine.
Lorsqu'une relation commerciale ou touristique s'établit entre Taïwan et la RPDC elle revêt un caractère éminemment politique et diplomatique mais reste cachée. Par exemple en juin 2012 le journal taïwanais Huanqiu Shibao a révélé l'existence d'un voyage non prévu à Taipei effectué par Zhao Chengkui, vice-ministre du bureau du tourisme de la Corée du Nord, non invité par le gouvernement de Taïwan.
Zhao Chengkui a rencontré lors de son déplacement des agences de voyage taïwanaises afin de faire fructifier les échanges touristiques entre les deux pays en permettant aux Taïwanais de se rendre plus facilement dans son pays en y dépensant leur argent.
Le ministère des Affaires étrangères de Taïwan (acronyme anglais : MOFA) n'a pas été consulté ni prévenu de la visite de ce diplomate nord-coréen alors que le MOFA est une structure administrative et politique importante et que les deux pays n'entretiennent pas entre eux de relations diplomatiques. Celui-ci n'a pas violé les lois taïwanaises de l'immigration parce qu'il est arrivé à Taipei avec un visa de touriste. C'est toutefois uniquement en regardant les informations à la télévision taïwanaise que les membres du MOFA ont pu savoir quelques heures après que Zhao Chengkui était bien à Taïwan.
On peut se demander si le déplacement d'un tel vice-ministre est légal à Taïwan parce que celui-ci a un rang officiel dans son pays et qu'il lui a été accordé un visa pour touriste uniquement. Le MOFA ne s'est pas montré intransigeant en le laissant rentrer à Taïwan. Les États-Unis auraient pu s'insurger contre une telle visite mais Taipei aurait pu répondre qu'il n'en savait rien. En effet la loi taïwanaise est assez souple en ce qu'elle permet aux officiels nord-coréens arrivant à Taïwan d'obtenir un visa sur place et oblige uniquement les services de l'immigration d'informer le MOFA après la délivrance d'un tel visa.
Taïwan malgré tout n'a pas fourni à Zhao Chenkui un visa diplomatique parce que les États-Unis auraient été contre et ces derniers auraient pu remettre en cause la fourniture de ventes d'armes de Washington à Taipei.
La RPDC en plus de vouloir attirer des touristes dans son pays souhaite lors de foires commerciales qui se tiennent à Dandong en Chine tout près de la frontière nord-coréenne attirer des entreprises taïwanaises dans son pays en montrant à ces dernières la qualité de sa main d’œuvre.
Lors de ces foires, des petites entreprises taïwanaises vendent différents produits comme des composants électroniques, des produits cosmétiques, des vélos et du thé. Par ailleurs, des restaurants taïwanais sont présents sur place. C'est grâce à une décision provenant du gouvernement nord-coréen que les entreprises taïwanaises sont invitées régulièrement à Dandong.
La main d’œuvre nord-coréenne est peu onéreuse et très qualifiée selon les Taïwanais qui participent à ces foires. Pour les Nord-Coréens pouvant se rendre en Chine, travailler pour des entreprises taïwanaises est une expérience de grande importance. En fait, Taipei n'a jamais vraiment rompu complètement ses relations commerciales avec la Corée du Nord. Il y a environ cent entreprises taïwanaises installées en RPDC par l'intermédiaire de sociétés chinoises qui exportent majoritairement des produits chimiques et du matériel médical.
C) Les déchets nucléaires
Le Liberty Times, un journal taïwanais très populaire sur l'île reflétant souvent les idées du Parti démocrate progressiste local a en 2013 informé le public que la RPDC a décidé d'assigner en justice la société taïwanaise Taipower qui gère la production et la gestion du nucléaire en République de Chine.
Pyongyang n'en démord pas selon le journal : Taipower a rompu un contrat d'une durée de seize ans conclu entre la Corée du Nord et Taïwan qui donnait la possibilité à cette société d'exporter des déchets radioactifs de faible intensité dans le nord de la péninsule coréenne pour y être stockés en 1996.
Taipower devait payer à la RPDC 8,72 millions de dollars américains dans le cadre de ce contrat non écrit. Pyongyang, par l'intermédiaire de l'avocat Caihui Ling, lui réclame maintenant 300 millions de dollars américains de dédommagements.
Le ministère de l'économie taïwanais a tenu à préciser suite à la révélation de cette affaire que ce contrat a dû être suspendu en raison d'une importante pression politique provenant de Séoul et de Washington. Cependant, deux ans après en 1998 Taipower et la RPDC ont signé ce contrat malgré les réticences internationales : Pyongyang devait continuer à construire à un prix élevé des sites dans son pays où les déchets nucléaires taïwanais allaient être déposés, et par la suite Taipei règlerait la somme d'argent prévue dans le contrat.
L'entreprise taïwanaise n'a jamais pu respecter les termes du contrat parce qu'elle n'obtint jamais de la part de l'organisme officiel à l'énergie atomique taïwanais le droit d'exporter de tels déchets nucléaires à l'étranger. L'auteur Mycal Ford pense que Taipower n'a pas pu résister à la pression internationale et au fait qu'il était délicat de commercer avec un État « paria qui laisse mourir de faim sa population ». En fait, le gouvernement taïwanais ne voulait pas froisser les États-Unis qui lui vendent de nombreuses armes défensives pour rééquilibrer le rapport de force militaire dans le détroit de Taïwan.
L'organisme officiel à l'énergie atomique taïwanais prit malgré tout la décision de vérifier si en Corée du Nord le site où les déchets radioactifs de son pays allaient être déposés avait été bien construit. Il n'en fut rien. L'auteur s'interroge également sur le fait de savoir comment Taipower avait pu faire autant confiance en la capacité pour la RPDC à construire un tel site de dépôt de déchets radioactifs alors que celui-ci faisait face à une sévère pénurie alimentaire dans les années 1990. Quoiqu'il en soit l'avocat qu'a choisi Pyongyang continue toujours de travailler sur cette rupture de contrat de la part de Taipower.
Ce que l'on doit retenir selon Mycal Ford c'est qu'il est compliqué de s'engager dans des relations commerciales avec Pyongyang, particulièrement pour Taïwan qui est un allié des États-Unis. Par ailleurs, cet engagement peut poser un problème au regard de la réputation de l'île qui se veut être démocratique et constituer une alternative à la Chine continentale.
Si le problème des déchets nucléaires taïwanais a pu se poser pour la RPDC qui était censé les recevoir, la question se pose aussi de déchets radioactifs nord-coréens qui seraient entreposés au large des côtes taïwanaises. Cette information a pu voir le jour suite à une déclassification de documents officiels italiens par le service de renseignement militaire italien.
Ces déchets ont été entreposés durant les années 1990 selon ces documents et l'auraient été par l'intermédiaire d'un homme d'affaire italien Giorgio Comerio qui aurait fait fortune en entreposant également d'autres déchets près des côtes méditerranéennes et somaliennes.
Le fait d'entreposer de tels déchets était une pratique acceptée avant que l'organisation non gouvernementale Greenpeace s'empare de l'affaire. Les documents déclassifiés ont révélé que M. Comerio a commencé à collaborer avec le gouvernement de la RPDC vers 1995. L'affaire était simple : il obtint 227 millions de dollars américains et on lui confia 200.000 barils de déchets radioactifs à entreposer près des côtes taïwanaises, à un endroit où il est possible d'enfouir très profondément de tels barils.
La révélation de cette affaire en février 2017 coïncide avec le renouvellement de sanctions par l'ONU contre la RPDC après le succès de tirs de missiles balistiques stratégiques nord-coréens.
Des organisations environnementales taïwanaises ont été offusquées suite à cette révélation et ont protesté en demandant que le gouvernement taïwanais éclaircisse ce problème en souhaitant qu'il soit procédé à des tests pour savoir si l'environnement taïwanais et l'océan Pacifique avaient été impactés et que soit trouvé le lieu des déchets. Contrairement à ce qui s'est passé en Europe, la police du pays n'est pas intervenue pour disperser les manifestants.
Le cabinet du conseil à l'énergie atomique taïwanais a répondu aux manifestants qu'il n'était pas au courant des informations déclassifiées par le gouvernement italien.
D) Les relations avec les États-Unis
La décision de Donald Trump d'accepter de répondre à un appel téléphonique de la part de la nouvelle présidente taïwanaise Tsai Ing-wen pour la féliciter d'être parvenue à ce poste a créé une nouvelle donne dans les relations entre les États-Unis et la Chine populaire, non pas pour le contenu de l'appel mais pour cet appel lui-même.
Si les États-Unis veulent jouer la carte taïwanaise en humiliant la Chine et le Parti communiste Chinois en revenant sur le principe d'une seule Chine, il n'est pas sûr du tout que le président Xi Jinping ne réagisse pas. En effet, ce dernier considère que Taïwan est une province chinoise qui devra un jour où l'autre être contrôlée par Pékin et non plus par les autorités locales taïwanaises.
Le président chinois pourrait tout à fait entraîner une escalade des tensions entre Pékin et Washington en reconsidérant les relations sino-nord-coréennes et en agissant de trois façons différentes si le président Trump était amené à donner plus de contenu aux rapports entre les États-Unis et Taïwan. On pourrait imaginer une administration Trump acceptant de recevoir des officiels taïwanais aux États-Unis et une administration taïwanaise acceptant de recevoir des officiels américains.
La Chine populaire pourrait ne plus voter les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU allant à l'encontre de la RPDC en ne la sanctionnant plus économiquement lorsque cette dernière teste de nouveaux missiles ou procède à une nouvelle expérimentation nucléaire.
La Chine populaire pourrait également ignorer les sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU à l'encontre de la RPDC. La récente résolution 2321 du Conseil votée avec l'accord de Pékin est une résolution qui isole économiquement encore plus Pyongyang. Pékin pourrait ne plus la respecter et cela redonnerait de l'oxygène à l'économie nord-coréenne. Cela permettrait à la Corée du Nord de se maintenir et ainsi d'éviter une réunification éventuelle de la péninsule coréenne par absorption qui aboutirait à une présence possible des troupes américaines jusqu'à la frontière nord-coréenne ou à un exode massif de Nord-Coréens en Chine populaire, ce que redoute Pékin.
Pékin pourrait aussi changer radicalement sa politique envers la RPDC si Washington prévoyait de discuter avec Taipei d'une façon de plus en plus formelle sur le plan diplomatique. La Chine populaire pourrait alors soutenir une Corée du Nord nucléarisée. La position stratégique de la Chine en Asie-Pacifique n'a jamais été déséquilibrée par la présence d'une Corée du Nord nucléarisée.
D'après Daniel R. DePetris, analyste en géostratégie auprès de la société Wikistrat, les États-Unis doivent choisir. Selon eux est-il préférable que Taïwan ait une stature internationale plus importante que maintenant pour relever le niveau de la sécurité géostratégique dans le Pacifique, ou faut-il permettre à moyen terme que la péninsule coréenne soit dénucléarisée ?
Les règles du jeu ne sont pas aussi simples dans le domaine des relations internationales. Le 1er mai 2013 un tribunal américain de l'Illinois a sanctionné une société taïwanaise et un ressortissant taïwanais pour avoir enfreint les lois américaines relatives aux règles régissant l'interdiction de la prolifération des armes de destruction massive en commerçant avec la RPDC. Il n'y a pas qu'un bon et qu'un méchant.
Si ces considération relatives aux prises de position des États-Unis face au problème chinois ne concernent pas directement les relations entre Taïwan et la RPDC, on peut remarquer à travers ces informations que Washington a une influence importante en Extrême-Orient, quoique pondérée par la présence de Pékin.
C'est en redéfinissant ici leurs relations avec Taïwan que les États-Unis peuvent avoir une emprise directe sur les relations qu'entretiennent l'île et la RPDC, tout comme lorsque Washington tente de faire évoluer ses relations avec Pyongyang vers plus ou moins d'ouverture entre les deux capitales.
La RPDC et Taïwan n'entretiennent donc pas entre elles de relations diplomatiques. Il existe cependant des bribes de relations économiques et touristiques entre ces deux pays, notamment par l'intermédiaire de la Chine populaire. L'influence des États-Unis en Extrême-Orient a des conséquences non négligeables sur ces relations.
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