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19 mars 2017 7 19 /03 /mars /2017 15:29

Le 19 mars 2017, l'agence KCNA de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) s'est félicitée du test réussi d'un nouveau moteur de fusée - au moment où le secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson était en visite à Pékin, où il a rencontré le Président Xi Jinping. Si la RPD de Corée souligne que cet essai, réalisé en présence du Président Kim Jong-un, présente un caractère scientifique, d'aucuns y voient un pied de nez aux Etats-Unis... et à la Chine - alors que l'annonce coïncide avec la rencontre bilatérale de haut niveau entre Rex Tillerson et Xi Jinping. Au-delà des faits, la situation actuelle fait ressortir l'intérêt de revenir à la table des négociations, comme l'a montré le Professeur Kazuto Suzuki dans un entretien au quotidien Le Monde

En février 2016, la RPD de Corée a réussi la mise sur orbite du satellite artificiel Kwangmyonsong-4.

En février 2016, la RPD de Corée a réussi la mise sur orbite du satellite artificiel Kwangmyonsong-4.

Pour l'agence nord-coréenne KCNA, l'affaire est entendue : il s'agit d'un progrès scientifique majeur, qui répond aux objectifs de l'ambitieux programme spatial national. Ainsi, selon KCNA :

Le développement et la mise au point d’un moteur à haute poussée nouvelle génération va aider à consolider les bases scientifiques et technologiques qui nous permettront d’atteindre le niveau mondial en matière de lanceurs de satellites et d’intervention dans l’espace (...) Le leader a souligné que le succès de ce test est un événement d’une signification historique et il a déclaré qu’il s’agissait d’une renaissance pour le programme de fusées du pays.

L'administration Trump ne l'interprètera certainement pas en ce sens, alors que le Président américain a déclaré qu'il empêcherait la RPD de Corée de se doter de missiles balistiques intercontinentaux pouvant atteindre le territoire américain, et que - de longue date - les Etats-Unis assimilent (de manière sinon abusive, tout au moins hâtive) les programmes balistique et spatial conduits parallèlement par la Corée du Nord.

Après avoir déclaré à Séoul lors de son actuelle tournée en Extrême-Orient (Chine, Corée, Japon) qu'il n'excluait pas l'option militaire contre Pyongyang, le secrétaire d'Etat Rex Tillerson - un ancien ingénieur d'Exxon, républicain bon teint par ailleurs opposé aux sanctions contre la Russie - se retrouve dos au mur, alors qu'il s'efforce d'amener la Chine à se rapprocher des positions américaines, notamment sur la question coréenne. Cette coopération est entravée par des divergences stratégiques majeures (notamment le début du déploiement en Corée du Sud, en février 2017, du système américain de missiles antibalistique THAAD, qui a conduit la Chine à mettre en place des sanctions économiques contre Séoul). En outre, Washington avait déjà opposé une fin de non-recevoir au récent plan chinois de sortie de crise ayant conduit à l'escalade actuelle sur la question coréenne.

Rencontre entre Rex Tillerson et Xi Jinping au Palais de l'Assemblée du Peuple, à Pékin, le 19 mars 2017.

Rencontre entre Rex Tillerson et Xi Jinping au Palais de l'Assemblée du Peuple, à Pékin, le 19 mars 2017.

Dans ce contexte, le communiqué commun publié suite à la rencontre entre Rex Tillerson et Xi Jinping, esquivant les points de divergence, tend à montrer que l'administration Trump n'a pas encore arrêté sa politique coréenne - tout en faisant par ailleurs le constat de l'échec de la politique dite de "patience stratégique" conduite par l'administration Obama.

Ce n'est pas la première fois que Pyongyang prend une initiative de nature à fortement déplaire aux Etats-Unis lors d'une rencontre bilatérale de haut niveau - le 12 février 2017, les autorités nord-coréennes avaient déjà procédé à un tir balistique de moyenne portée alors que le Président américain Donald Trump recevait le Premier ministre japonais Shinzo Abe.

Il y a clairement, côté nord-coréen, l'engagement d'une diplomatie consistant à aller jusqu'au bord de la rupture (le tir du 12 février n'était pas un essai nucléaire, lequel aurait entraîné à coup sûr le renforcement des sanctions internationales contre la RPD de Corée ; de même, le 19 mars, il a été procédé à un essai de moteur de fusée, non au lancement d'une fusée ni à un tir balistique de longue portée). Par ailleurs, la RPD de Corée manifeste une volonté claire d'indépendance par rapport à la Chine - après avoir subi la décision chinoise de suspendre les achats de charbon nord-coréen.

Pour autant, il est hautement improbable - contrairement à ce que peuvent prétendre certains médias occidentaux - que la RPD de Corée envisage sérieusement une action militaire contre ses voisins ou les Etats-Unis, ne serait-ce qu'au regard du très net déséquilibre des forces.

Dans un entretien qu'il a donné au quotidien Le Monde, publié dans l'édition des 19 et 20 mars 2017, le Japonais Kazuto Suzuki, professeur de relations internationales à l'université d'Hokkaido, ancien membre du comité d'experts auprès du Comité des sanctions des Nations Unies sur le dossier iranien, estime que les conseillers militaires de Donald Trump décourageront ce dernier à engager des frappes militaires contre Pyongyang, car "même si leurs forces arrivent à détruire les installations, ils ne se débarrasseront pas des ingénieurs et du savoir que les Coréens ont accumulés" (on peut ajouter que la RPD de Corée a dû mettre à l'abri d'une attaque aérienne ses installations les plus sensibles, ainsi que son stock d'uranium et ses armes nucléaires). Dès lors, le professeur Kazuto Suzuki envisage clairement une négociation avec la RPD de Corée (que rechercherait par ailleurs cette dernière), en évitant que la Corée du Nord ne favorise la prolifération des armes nucléaires. A cette fin, il propose, en s'inspirant du précédent iranien, de reconnaître la Corée du Nord comme une puissance nucléaire :

Nous devons admettre cet état de fait - la Corée du Nord est une puissance nucléaire - et le considérer non pas comme un précédent mais comme un cas extrême. Nous devons ramener la Corée du Nord à l'intérieur du TNP [NdA : Traité de non-prolifération nucléaire]. C'est ce langage qui a été utilisé dans les négociations avec l'Iran.
Téhéran a obtenu le droit de posséder un nombre limité de centrifugeuses, un stock d'uranium appauvri et un réacteur à eau lourde, des concessions destinées à permettre des activités d'enrichissement qui ne sont pas destinées à fabriquer une bombe. Le président américain George W. Bush avait rejeté cette possibilité qui avait été négociée dès 2005 par la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne avec l'Iran de Mohammad Khatami. Cette option du "zéro enrichissement", défendue par M. Bush, a été abandonnée par Barack Obama, ce qui a permis de conclure l'accord nucléaire. M. Obama est ainsi passé du "zéro enrichissement" à "zéro bombe". Ce fut un tournant dans la négociation et cela peut aussi se produire avec la Corée du Nord.

En posant d'excellentes questions (retour de la RPD de Corée dans le régime du TNP, qui implique des obligations en matière de non-prolifération et de contrôle des activités ; reconnaissance de la Corée du Nord comme d'un Etat doté de l'arme nucléaire, à l'instar des cinq membres permanents du Conseil de sécurité ; différence entre les activités d'enrichissement et la production de bombes nucléaires), le professeur Kazuto Suzuki montre qu'il y a du "grain à moudre" pour une négociation sur le nucléaire nord-coréen. Mais pour ce faire l'administration Trump devra faire preuve de pragmatisme, ce que lui a d'ailleurs proposé la Chine dans son dernier plan de sortie de crise qui a été rapidement rejeté par Washington. Au-delà des postures guerrières destinées, entre autres, à rassurer des administrations conservatrices sur le départ (s'agissant de la Corée du Sud) ou enfermées dans un anti-coréanisme primaire flattant les instincts de l'opinion publique (en ce qui concerne le gouvernement japonais de Shinzo Abe), Donald Trump est aujourd'hui confronté à résoudre, en homme d'Etat, une crise internationale à laquelle son prédécesseur a été incapable de mettre fin de manière satisfaisante sinon dans l'intérêt de la paix, du moins au regard des intérêts américains. 

Sources :

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