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5 mars 2017 7 05 /03 /mars /2017 17:36

Les tensions liées à la mise en place du système de missiles antibalistiques américain THAAD ont augmenté d’un cran depuis que le gouvernement chinois sanctionne les Etats-Unis à travers son allié sud-coréen - avec l'annulation notamment de visites de groupes touristiques sud-coréens en Chine prises en charge par des tours opérateurs chinois. Alors que les Etats-Unis ont encore accru la portée de leurs exercices de guerre annuels menés en coopération avec l'armée sud-coréenne (les manoeuvres militaires "Foal Eagle" ont démarré le 1er mars 2017 pour une durée de deux mois, impliquant 300 000 hommes et le porte-avions à propulsion nucléaire USS Carl Vinson, avant l'exercice de commandement "Key Resolve", basé sur une simulation informatique, qui débutera le 13 mars), la péninsule est à nouveau le théâtre d’un combat qui la dépasse et dont elle serait la principale victime en cas de conflit ouvert. Nous publions ci-après le témoignage et l'analyse d'un Français ayant vécu en République de Corée (Corée du Sud), pour rendre compte des enjeux géopolitiques et sécuritaires dans lesquels est impliquée la péninsule coréenne.

Les croix des églises chrétiennes illuminent le ciel de la nuit séoulite.

Les croix des églises chrétiennes illuminent le ciel de la nuit séoulite.

« Le premier centimètre c’est le plus dur, le plus coûteux... pour les suivants ça va tout seul ! » Louis-Ferdinand Céline, 1937

Les élites sud-coréennes mais également une grande partie de sa population qui subissent des atteintes incessantes à la souveraineté et aux intérêts fondamentaux de la nation semblent s’être depuis longtemps résignées à cet état de fait.

Il est ainsi difficile de trouver des opposants à la présence américaine au Sud qui s’apparente de bien des manières à une occupation militaire. S’opposer aux Etats-Unis, c’est être un communiste en puissance et donc l’ennemi de la nation.

La télévision et la culture pop inondant le pays ont fini de réduire le peu d’esprit critique qui restait en abreuvant la population de programmes d’une rare indigence ("le temps de cerveau disponible", aurait-on dit dans un autre contexte), esprit critique déjà mis à mal par la loi sur la sécurité nationale, toujours en vigueur en 2017.

Les Américains sont ainsi au Sud en terrain conquis ayant transformé Séoul en une réplique asiatique d’une de leurs banlieues où les myriades d’enseignes américaines, inconnues des Européens, font concurrence aux églises évangélistes dont les néons la nuit ne manquent pas de surprendre le touriste se rendant dans le pays pour la première fois.

On comprend qu'au final les manifestations n'aient pas été plus importantes concernant le déploiement du système de missiles antibalistiques américain THAAD.

Ce dernier sous prétexte de fournir une défense contre une attaque nucléaire du Nord (qui de l’aveu même des faucons de Washington n’a aucune chance de se produire, les dirigeants en poste à Pyongyang étant tout sauf suicidaires) est en fait un élément central dans la guerre froide qui va en s’intensifiant entre les Etats-Unis et la République populaire de Chine.

Une nouvelle bipolarisation du monde est en marche et la péninsule coréenne de par sa position stratégique va, malgré elle, être amenée à nouveau à y jouer un rôle crucial.

"L'avenir se décide dorénavant en Asie" (Hillary Clinton, Secrétaire d’Etat américaine, 2011).

"L'avenir se décide dorénavant en Asie" (Hillary Clinton, Secrétaire d’Etat américaine, 2011).

Après les catastrophes successives issues de la politique arabe des néo-conservateurs américains et la résistance de plus en plus forte des pays d’Amérique latine face à l’ingérence venue du Nord dans leur politique et leur économie, les Etats-Unis ont choisi de recentrer leurs efforts impérialistes en Asie.

Le choix de cette zone est tout sauf anodin, car ce qui peut sembler nouveau dans le jeu diplomatique américain est en fait un retour à l’ordre antérieur où dans un climat de guerre froide, ils y combattaient déjà « la tyrannie communiste » en s'érigeant en chevaliers du monde libre dans les années 1950, sur le sol de la péninsule coréenne.

Le continent asiatique a toujours été en ligne de mire de Washington, y voyant au mieux un futur débouché commercial, mais plus souvent un territoire où placer des dirigeants soumis à leurs intérêts, ne coïncidant que rarement avec ceux des populations.

Cette idéologie, qui cache bien entendue une volonté d’hégémonie, a subtilement été transposée par le complexe militaro-industriel avide de conflits armés à un certain nombre de pays arabes laïcs qui ont ainsi subi la vindicte américaine, avec des résultats inquiétants en termes de démocratie, de stabilité et de légitimité des nouveaux pouvoirs mis en place dans les années 2000.

Le cas de la Libye et de son chef d’Etat le colonel Mouammar Kadhafi a été suivi attentivement depuis Pyongyang, les autorités nord-coréennes y avant vu, à raison, la preuve que l’on ne pouvait pas faire confiance aux dirigeants occidentaux.

En 2003, la Libye a en effet été poussée par les Américains à abandonner son programme nucléaire en échange de la normalisation des relations diplomatiques et du retrait de la Libye de la liste des pays soutenant le terrorisme.

On se souvient tous ainsi de ces images insolites du dirigeant libyen plantant sa tente sur la pelouse d’un célèbre palace parisien avant de rencontrer en grande pompe le Président Nicolas Sarkozy.

Quelques années plus tard, les avions de chasses de ces mêmes pays devenus théoriquement non-hostiles bombardaient l’armée légale libyenne en soutien à une rébellion constituée en grande partie d’islamistes qui ne reculent pas dans l'emploi de procédés terroristes pour s'opposer à l'Occident. A contrario, si Mouammar Kadhafi et Saddam Hussein avaient été en possession d’un arsenal nucléaire, même minime, ily a fort à parier qu'ils seraient toujours aux commandes de leurs pays respectifs.

Avant et après : la leçon libyenne.Avant et après : la leçon libyenne.

Avant et après : la leçon libyenne.

Cette expérience a renforcé Pyongyang dans sa volonté d’assurer sa sécurité par l’arme atomique, gage ultime de sa sécurité et de son indépendance en conformité avec l’idéologie du Juche, au cœur de la politique nord-coréenne.

Dans les négociations qu'elles proposent à leurs adversaires stratégiques, les autorités nord-coréennes ne parlent ainsi plus d’une dénucléarisation du pays mais d’un gel de leur production d’armes nucléaires moyennant des contreparties - et en particulier de véritables garanties de sécurité. La Corée du Nord est et veut désormais être reconnue comme une puissance nucléaire, engageant des pourparlers directs avec les Etats-Unis - sans le Japon, ni la Corée du Sud, soumis aux intérêts américains.

Les Etats-Unis sont en effet chez eux au sud de la zone démilitarisée et s’y comportent comme puissance occupante depuis 1945, bien aidés par leurs alliés fidèles que sont les conservateurs sud-coréens, héritiers de dictatures militaires - qui étaient d'ailleurs parfois plus indépendantes des Etats-Unis.

Dans cet ordre d'idées, il est logique que les conservateurs n’aient rien trouvé à redire à la mise en place du système de missile THAAD qui selon eux renforce la « coopération » militaire américano-coréenne, qu’ils considèrent, non sans raison, comme étant le fondement de la politique de défense de la République de Corée.

Les Etats-Unis étant en perte de vitesse sur le continent asiatique comptent ainsi sur une remilitarisation du nord-est du continent pour y rétablir un rapport de forces en leur faveur, la cible n’étant plus l’Union Soviétique (bien que la Russie commence à y regagner une certaine influence) mais la Chine, plus grande puissance régionale qui tente non sans succès de reprendre sa place d’Empire du Milieu.

Les Américains, bien qu'éloignés de cette région du globe à la fois géographiquement et culturellement, ont à la faveur de la défaite japonaise de 1945, pris pied dans l'archipel nippon, et au Sud de la péninsule coréenne - leur intérêt n'étant évidemment pas de quitter ces postes avancés.

GIs à Panmunjom.

GIs à Panmunjom.

La division du pays constitue finalement une aubaine pour les deux grandes puissances.

Les Etats-Unis jouent sur la peur de la Corée du Nord pour introduire en Corée un arsenal de guerre impressionnant qui serait bien entendu inacceptable en temps de paix ou même de guerre froide (comme en avait témoigné la crise des missiles de Cuba en 1962), tandis que la Chine qui n'est certes pas favorable au programme nucléaire nord-coréen préfère cet état de fait à une réunification du pays qui deviendrait vraisemblablement pro-américain et fortement nationaliste, risquant de ce fait de réveiller les velléités indépendantistes des nombreuses minorités qui constituent sa population, en premier lieu la forte population ethnique coréenne présente entres autres dans la province du Yanbian.

Enfin, Séoul bénéficie grâce à la présence des GI’s sur son sol d’une défense militaire à moindre coût (ce que Donald Trump durant sa campagne avait déclaré vouloir remettre en cause) et son développement économique a été soutenue dans une relation de subordination envers les Américains - la Corée du sud ayant apporté le deuxième plus important contingent de soldats lors de la guerre du Vietnam, après les Etats-Unis.

Il reste à voir quel sera l’impact à moyen et long termes du déploiement de THAAD en Corée du Sud, qu'on peut considérer comme une nouvelle crise des missiles - alors que l'attitude conciliante de Nikita Khrouchtchev en 1962 avait contribué à sa mise à l'écart.

Pour sa part, la RPD de Corée avait compris à cette occasion que jamais l’URSS ne s’engagerait dans un conflit armé contre les Etats-Unis et qu’elle devait de ce fait assurer par elle-même sa défense. L'augmentation importante du budget militaire nord-coréen a été une conséquence directe de la crise des missiles de Cuba.

Il est probable que la même analyse puisse être faite en 2017 (avec la Chine dans le rôle de l'URSS), la Chine n'étant pas encline à intervenir militairement en Corée, contrairement à l'intervention des volontaires chinois lors de la guerre de Corée (1950-1953). Elle fera cependant tout pour contrecarrer les plans de Washington, et bien que Séoul soit maintenant beaucoup plus proche d’un point de vue économique voire idéologique de Pékin, elle visera à défendre Pyongyang, refusant  une réunification qui mettrait clairement en péril l’équilibre régional au profit des Américains.

L’intérêt des Coréens du Sud comme du Nord dans ces querelles d’hégémonies semble bien loin, l'histoire de la Corée victime des appétits des grandes puissance se répétant une nouvelle fois .

La position stratégique de la péninsule est trop importante pour qu’elle soit laissée à un peuple qui n'en a jamais agressé un autre, fort d'une histoire plusieurs fois millénaire, et que les puissances ont divisé pour mieux régner depuis maintenant plus de 70 ans.

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