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26 février 2017 7 26 /02 /février /2017 11:03

Depuis le 14 février 2017, la mort, la veille, de celui qui est présenté comme étant Kim Jong-nam retient toute l’attention des médias internationaux pour ce qui concerne l’actualité coréenne. De fait, tous les ingrédients d’un roman d’espionnage sont réunis - y compris la fascination de l’assassinat par empoisonnement. Toutefois, un certain nombre de zones d’ombre demeurent et justifient, compte tenu des conséquences géopolitiques de cette affaire et de la manière avec laquelle elle est généralement présentée par les grands médias, que la rédaction de l’Association d’amitié franco-coréenne juge utile de lister ces interrogations, en laissant au lecteur le soin de se faire sa propre opinion.

Les mystères de Kuala Lumpur

Qui est mort ?

Un citoyen nord-coréen, mort le 13 février au cours de son transport de l’aéroport vers l’hôpital de Kuala Lumpur en Malaisie, détenteur d'un passeport diplomatique au nom de Kim Chol, né en 1970, a été présenté, dès le lendemain par la presse sud-coréenne comme étant Kim Jong-nam, demi-frère du dirigeant de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) Kim Jong-un. Seul un test ADN pourrait avec certitude déterminer l’identité du défunt. Cependant, l’article 40 (alinéas 3 et 4) de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques stipule que les personnes munies d’un passeport diplomatique bénéficient d’un principe d’inviolabilité personnelle. A ce titre, la réalisation d’un test ADN et d’une autopsie suppose l’accord préalable de la République populaire démocratique de Corée. La RPDC - comme le droit international l'autorise - a refusé la réalisation de ce test ADN et de cette autopsie et a demandé à ce que le corps du défunt lui soit remis. Par son refus, l’attitude de la Malaisie est doublement critiquable.

Premier point critiquable, la réalisation d’une autopsie et d’un test ADN sans l’accord de la RPDC est constitutive d’une violation des conventions internationales ainsi que l’a rappelé le Comité des juristes coréens (de la RPD de Corée) le 22 février.

Par ailleurs, la réalisation d’un test ADN suppose un prélèvement, en Malaisie ou ailleurs, sur un membre de la famille du défunt. Or, à ce jour, aucune information quant à l’arrivée prochaine en Malaisie d'un membre de la famille de Kim Jong-nam n'a été vérifiée de manière certaine. Le corps n'a pas non plus été réclamé par la famille et, conformément aux conventions internationales, aurait dû être immédiatement remis aux représentants de la RPDC à Kuala Lumpur.

Le test ADN réalisé par la Corée du Sud sur la base d’empreintes digitales laissées dans un restaurant manque quant à lui de crédibilité et d’impartialité et doit donc être écarté.

Second point critiquable, le gouvernement de la RPD de Corée a demandé à être associé à l’enquête. Cette requête a été refusée par la Malaisie. Le rejet de cette proposition d’enquête conjointe formulée par la RPDC traduit un refus manifeste de coopération mais pourrait aussi témoigner de la peur de la part de la police malaisienne que des lacunes de l’enquête puissent être révélées au grand jour - après la tragique disparition du vol MH370 en mars 2014, où les autorités malaisiennes ont été très critiquées pour leur gestion calamiteuse de la catastrophe et de ses suites.

Quelle est la cause de la mort ?

Des zones d’ombre entourent les circonstances et la cause de la mort du citoyen nord-coréen, la presse internationale s’étant contentée de relayer la thèse diffusée - très rapidement - par les médias sud-coréens (cf. ci-dessous la réponse à la question « D'où vient l'information relayée par les médias occidentaux ? ») selon laquelle il s’agirait d’un assassinat par empoisonnement. L’autopsie, réalisée sans autorisation de la République populaire démocratique de Corée (cf. question « Qui est mort ? »), ne lève pas toutes les questions, en l’absence, visiblement à ce jour, de test ADN. En attendant, deux thèses s’opposent.

La mort du citoyen nord-coréen a tout d’abord été présentée par la police malaisienne comme étant la conséquence d’un accident cardiaque. Certains médias sud-coréens ont cependant affirmé qu’il s’agissait d’un « assassinat par empoisonnement » et cette thèse a immédiatement été reprise par la police malaisienne puis par les médias internationaux. Cette affirmation, par son caractère précipité, pour le moins, devrait pourtant susciter un certain nombre d’interrogations.

Une vidéo récupérée de manière incertaine avant d'être diffusée par la télévision japonaise FujiTV a depuis été largement relayée et sert de pierre angulaire à la thèse selon laquelle le citoyen nord-coréen aurait été assassiné. Or, sur cette vidéo, ni l’angle de la prise de vue ni la mauvaise qualité des images ne permettent d’établir avec certitude l’existence d’un assassinat par empoisonnement, tandis que le visage de la personne est difficile à discerner. Une photo a circulé, publiée notamment en France par l'hebdomadaire Paris Match, d'un homme présenté comme Kim Jong-nam, évanoui après l' « attentat ». Mais c’est manifestement un faux, les vêtements n’étant pas les mêmes que sur la vidéo diffusée par la télévision japonaise.

D’après les tenants de la thèse de l’assassinat par empoisonnement, le citoyen nord-coréen aurait été empoisonné à l’aide du poison VX, « plus mortel que le gaz sarin » (c'est à dire plus mortel que mortel !) comme le souligne la dépêche AFP ayant alimenté une bonne partie de la presse française...  Inventé par les Britanniques et modifié par les Etats-Unis, assimilé à une arme de destruction massive, ce poison est extrêmement dangereux et doit être manipulé avec une extrême précaution. L’Institut coréen pour les analyses de défense (KIDA), relevant du ministère sud-coréen de la Défense, avait avancé en 2016 que la RPD de Corée disposerait de six types de gaz innervant dont le VX. La thèse selon laquelle une femme aurait pu, sans aucune protection, asperger le citoyen nord-coréen de ce poison est cependant sujette à caution, et ce point a été souligné par la partie nord-coréenne. Elle n'est cependant pas la seule à s’interroger. Dans un article du quotidien français Le Monde, l’idée que ce poison ait été utilisé est écartée par deux spécialistes :

Pour le médecin général Patrice Binder, spécialiste des armes biologiques, aujourd’hui à la retraite, il n’est cependant pas crédible que le VX ait pu être appliqué à mains nues sur le visage de la victime par les deux exécutantes présumées. 'Elles auraient été en état de choc, même sous atropine', principal antidote au VX. 'Même en se protégeant avec des gants, manipuler ce produit à la toxicité diabolique est extrêmement dangereux', ajoute Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, auteur d’une thèse sur l’utilisation des armes chimiques pendant la première guerre mondiale.

"Le Monde", 24 février 2017

L’identité et le parcours des deux femmes accusées d’avoir participé à l’empoisonnement posent de sérieux doutes (voir question « Que sait-on des deux femmes soupçonnées d'avoir assassiné la victime ? »).

Contre cette théorie, la République populaire démocratique de Corée a exprimé un certain nombre d’objections, récusant catégoriquement la thèse de l’empoisonnement faute de traces toxiques indubitables ou de lésions. Pour faire la lumière sur ce décès, la RPD de Corée a même proposé au gouvernement malaisien l’envoi d’une délégation pour permettre la réalisation une enquête conjointe et indépendante de toute pression, notamment de la part de la Corée du Sud dont elle dénonce l’ingérence dans cette affaire. Cette proposition n’a pour le moment pas été acceptée. Dans l’attente d’une éventuelle coopération, la RPDC s’en tient à ce qui avait été affirmé initialement par l’hôpital de Kuala Lumpur et le gouvernement malaisien, à savoir une attaque cardiaque.

D'où vient l'information relayée par les médias occidentaux ?

La chaîne sud-coréenne Chosun TV est la première à avoir annoncé, le 14 février 2017, l'assassinat de Kim Jong-nam, d'après d’une « source gouvernementale » non précisée. Chosun TV est la chaîne du quotidien ultra-conservateur Choson Ilbo, très proche des services de renseignement sud-coréens, à quelques mois (semaines ?) d'une élection présidentielle mal engagée pour les conservateurs au pouvoir à Séoul (voir question « En cas d'assassinat de Kim Jong-nam, quels seraient les commanditaires et leurs mobiles ? »).

Dans la première information diffusée par Chosun TV, la victime, immédiatement présentée comme étant Kim Jong-nam, aurait été tuée à l’aide d’aiguilles empoisonnées puis aspergée ; dans un second temps, un tissu lui aurait été mis de force sur le visage pendant quelque quinze secondes, cette durée variant ensuite à quelques secondes ; la nature du poison prétendument utilisé a ensuite été précisée. A ces quelques éléments près (mais qui ont leur importance), le scénario présenté par Chosun TV n’a guère évolué dans ses grandes lignes. Les services de renseignement sud-coréens n’ont pas souhaité, dans un premier temps, faire de commentaires à la presse, la désignation de la Corée du Nord étant alors du fait de la police malaisienne. Toujours selon les médias sud-coréens, ce serait la Malaisie qui aurait informé la Corée du Sud, alors que la victime est nord-coréenne et (s’il s’agissait bien de Kim Jong-nam) résidait en Chine. Ces éléments ont naturellement conduit la RPDC, par la voix de son Comité des juristes, à dénoncer une collusion entre la Malaisie et la Corée du Sud.

 

Que sait-on des deux femmes soupçonnées d'avoir assassiné la victime ?

Peu après le décès du citoyen nord-coréen, la police malaisienne a annoncé l’arrestation de deux femmes. Au cours des interrogatoires, elles ont affirmé qu’elles pensaient prendre part à un jeu télévisé de type « caméra cachée » et auraient reçu une somme d’argent assez dérisoire (90 dollars) pour asperger le visage de la victime d’un produit qu’elles pensaient être de l'« huile pour bébé ». Cependant, l’identité, l’activité et le parcours de ces deux femmes posent un certain nombre d’interrogations qui sont de nature à remettre en cause la thèse d'un assassinat par empoisonnement orchestré par la RPDC. En effet, au regard de leur vulnérabilité et des pressions dont elles peuvent faire l’objet, notamment au cours des interrogatoires par la police malaisienne, leurs témoignages doivent être considérées avec prudence. De nationalités indonésienne et vietnamienne, elles travaillent toutes les deux dans le milieu de la prostitution et ont l’habitude de se déplacer en Asie pour leurs activités. L’une d’elles, Doan Thi Huong, est de nationalité vietnamienne et l’étude de son compte Facebook est troublante car elle révèle des liens avec de nombreux citoyens sud-coréens (27 sur un total de 65 amis) ainsi qu’une connaissance de l’alphabet coréen. Une enquête indépendante serait donc la bienvenue pour déterminer la nature exacte de ses liens avec la Corée du Sud.

En cas d'assassinat de Kim Jong-nam, quels seraient les commanditaires et leurs mobiles ?

La RPDC a-t-elle assassiné Kim Jong-nam? On peut s’interroger sur l’intérêt pour les Nord-Coréens d’éliminer un homme volontairement à l'écart des jeux de pouvoir en RPDC, qui n’était pas un opposant ni un dissident, et de surcroît sous la protection des autorités chinoises, alors que Pékin est le principal partenaire de la Corée du Nord. Les critiques de Kim Jong-nam contre la RPD de Corée ne doivent pas être surinterprétées : elles sont anciennes et parcellaires, certaines déclarations de Kim Jong-nam allant même dans le sens d’un souhait que le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un réussisse dans sa direction du pays. A l’appui cependant d’une mise en cause de la Corée du Nord, les médias ont affirmé que le fils aîné de Kim Jong-nam, Kim Han-sol, aurait renoncé à commencer des études à Oxford - Kim Han-sol ne s’étant par ailleurs pas exprimé publiquement depuis le 13 février 2017. La victime était dans la partie de l’aéroport de Kuala Lumpur dévolue aux vols low cost, ce qui ne correspond pas au mode de vie prétendu de Kim Jong-nam. Le mode opératoire supposé, particulièrement peu discret, a entraîné une large publicité nuisant à l’image de la RPD de Corée. L’amateurisme extrême de ce qui est présenté comme un assassinat par empoisonnement, avec le recours à des civils de nationalité étrangère, peut être de nature à écarter l'idée une intervention du gouvernement nord-coréen (et, si c'est le cas, à quel niveau ?). Si la RPDC avait réellement eu l’intention d’éliminer Kim Jong-nam, on peut objecter qu’elle l’aurait fait avec d’autres moyens et dans un autre lieu qu’un hall d’aéroport bondé.

En outre, la République populaire démocratique de Corée et la Malaisie entretiennent de longue date d'excellentes relations allant jusqu'à l'absence de visas entre les deux pays. Quelques semaines avant l'incident du 13 février 2017, la RPD de Corée et la Malaisie avaient même signé un accord pour approfondir leur coopération dans le domaine culturel. Quel intérêt avait la RPD de Corée à ainsi ruiner une si belle entente ?

Pour accréditer le mobile de l’assassinat par la RPD de Corée, différentes hypothèses (d’origine sud-coréenne ou occidentale) ont été émises mais toutes restent à être étayées : Kim Jong-nam aurait voulu faire chanter les autorités de la RPD de Corée en menaçant de gagner la Corée du Sud, il aurait pu prendre la tête d’un gouvernement en exil, etc…

En tout état de cause, la Malaisie recherche des suspects nord-coréens, y compris un diplomate, dont plusieurs ont quitté la Malaisie peu après l'incident du 13 février. La RPDC parle quant à elle de manipulation et d'atteinte à sa souveraineté au regard du principe d’immunité diplomatique dont jouissent les diplomates, immunité consacrée par les conventions internationales et devant à ce titre être respectées. La Malaisie objecte que les circonstances de la mort justifieraient ce non-respect du droit international.

Les triades chinoises ont-elles assassiné Kim Jong-nam? Le mode de vie et les dettes potentielles de Kim Jong-nam, passant le plus clair de son temps à Macao, en font une cible potentielle pour certains intérêts économiques chinois liés aux triades. L’assassinat en dehors du territoire chinois traduirait alors une volonté de brouiller les pistes en évitant de se soumettre aux juridictions chinoises. En outre, les deux assassins présumées fréquentaient des milieux interlopes dont Kim Jong-nam aurait été un habitué.

Les services secrets sud-coréens ont-ils assassiné Kim Jong-nam? Cette hypothèse a des partisans, en Corée du Sud notamment, où les services secrets ont été impliqués dans des opérations pour tout ou partie non élucidées. Parmi les dernières affaires en date, la manipulation de l’élection présidentielle sud-coréenne de décembre 2012 et la dissimulation des causes du naufrage du ferry Sewol ayant entraîné en avril 2014 la mort de quelque 300 passagers - majoritairement des lycéens en voyage scolaire. En outre, une élection présidentielle doit intervenir dans les prochains mois en Corée du Sud, alors que la présidente conservatrice Park Geun-hye a été destituée par le Parlement en décembre dernier et que la Cour constitutionnelle devrait confirmer (ou non) d’ici la mi-mars ce vote de destitution. L’affaire fait opportunément le jeu des services secrets proches de la droite sud-coréenne. En tout état de cause, cette affaire détourne provisoirement l’attention de la presse des nombreux problèmes internes à la Corée du Sud (procédure de destitution, enquêtes pour corruption, manifestations massives…) et constitue donc un parfait contre-feu médiatique. Les citoyens sud-coréens ont une expression pour désigner ce genre d'incident spectaculaire impliquant la RPDC et survenant très opportunément à la veille d'échéances majeures en Corée du Sud : le « vent du Nord ».

Un autre pays a-t-il assassiné Kim Jong-nam? A supposer que le poison puissant soupçonné (le VX) ait été utilisé, peu de pays peuvent le produire. Parmi ces pays, il y a la Russie, laquelle est un partenaire important (à défaut d’être un allié) de la RPDC. Il est notoire qu'une partie des techniciens et scientifiques russes s’est engagée dans des activités illicites après la disparition de l’Union soviétique en 1991. Certaines agences des Etats-Unis, autres producteurs du VX, auraient aussi eu intérêt à commettre un attentat spectaculaire « sous fausse bannière », en l'occurrence celle de la Corée du Nord, pour faire avancer les intérêts stratégiques américains en Asie et particulièrement en Corée où l'installation prochaine du système antimissile THAAD soulève une vive opposition. Dans sa déclaration du 22 février, le Comité des juristes de la RPDC s'étonne d'ailleurs que la mise en place du système THAAD ait été évoquée lors d'une réunion ministérielle tenue le 16 février en Corée du Sud et ayant pour sujet l'incident de Kuala Lumpur.

Enfin, la possibilité selon laquelle Kim Jong-nam aurait simulé sa propre mort avec le recours à un tiers n’est pas à exclure. Kim Jong-nam, passionné de jeux et père de famille, a toujours préféré les joies d'une vie discrète aux lumières du pouvoir et aurait eu tout intérêt à passer pour disparu et ainsi recommencer une nouvelle vie.

Les mystères qui entourent la disparition d’un Nord-Coréen le 13 février 2017 à Kuala Lumpur doivent inciter à n'écarter aucune hypothèse et, en tout cas, à rester extrêmement prudent face à une histoire vendue un peu trop vite par les grands médias malgré ses trop nombreuses incohérences.

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