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11 février 2017 6 11 /02 /février /2017 17:15

Ce 10 février 2017, deux journaux français - l'un classé "à gauche", et l'autre "à droite" - ont publié le même article sensationnel, à quelques heures d'intervalle : dans un article non signé, L'Obs titre "Immense purge en Corée du Nord : un millier de morts" ; pour sa part, Les Echos affirment, dans un article de Yann Rousseau, que "en Corée du Nord, une purge fait 1000 morts" (l'article relevant par ailleurs de la rubrique "Cette nuit en Asie", un lecteur inattentif pourrait même croire qu'une purge aurait fait 1000 morts la nuit précédente en Corée du Nord...). Un scoop ? Non, une fausse information (fake news).

L'avantage des chiffres "ronds" est qu'ils impressionnent davantage : évoquer "1000 morts" dans des purges parle davantage que les statistiques disséminées depuis plusieurs mois, tentant d'agréger les dizaines ou les centaines de morts (faute de toute information fiable) qui seraient prétendument survenues en Corée du Nord suite à des procès politiques.

Cette "information" provenant de l'agence officielle... sud-coréenne Yonhap n'a été reprise que dans deux médias français dits "majeurs", ayant été occultée dans les médias internationaux des autres pays occidentaux qui ont, eux, jugé plus prudent de faire leur travail de journalisme (recouper l'information pour en vérifier la crédibilité et l'exactitude). En effet, de multiples indices montrent que nous sommes en présence d'une non-information, ou plus exactement d'une désinformation, dans la mesure où elle ne repose sur aucun fait étayé nouveau.


Premier indice, le total des "morts" ne fait pas 1000 : selon la source (Kang Cheol-hwan, directeur du Centre de la stratégie sur la Corée du Nord, acronyme anglais, NKSC), ce nombre se décomposerait en "415 cadres du Parti du travail, 300 cadres des institutions rattachées et 200 responsables du ministères de la Sécurité nationale", tous "fusillés en public", ce qui ne fait que... 915 personnes, en agrégeant des chiffres déjà arrondis à la centaine la plus proche, deuxième indice d'inexactitude de l' "information". 

Troisième indice, l'agrégation de données qui, quand bien même elles seraient étayées, se recouperaient nécessairement. Que sont ces mystérieuses institutions rattachés au Parti du travail ? Qu'entend-on par "ministères" (au pluriel) "de la Sécurité nationale" ? Pourquoi leurs membres ne sont-ils pas aussi considérés comme cadres du Parti, alors qu'en Corée du Nord les fonctions dans le Parti et l'appareil d'Etat se cumulent ?

Quatrième et cinquième indices, les sources elles-mêmes. Tout d'abord (quatrième indice), celles-ci sont indirectes, parcellaires et non recoupées : Kang Cheol-hwan ne peut que faire état des "témoignages" de "six hauts placés ayant fait défection en Corée du Sud"... Mais qui sont ces défecteurs anonymes ? Quand ont-ils fait défection ? Qu'ont-ils vu ? Comment leur témoignage a-t-il été recueilli ? Est-il fiable ? Ne serait-on pas plutôt en présence d'un discours rapporté avec de nombreux intermédiaires (untel a dit à untel qui a entendu dire d'untel tenant lui-même sa source d'untel...), où l'information est de moins en moins fiable à chaque niveau de "témoignage" rapporté.


Cinquième indice, l'organisme auquel appartient M. Kang, malgré son titre pompeux ("Centre de la stratégie sur la Corée du Nord"), n'est en aucun cas un organisme universitaire ou travaillant selon des méthodes scientifiques. Il s'agit de l'une des multiples officines néo-conservatrices, très proches des services de renseignement sud-coréens et américains (en l'occurrence, pour le NKSC, animée par des défecteurs nord-coréens en Corée du Sud, avec à sa tête le très médiatique Kang Cheol-hwan) qui les financent et, année après année, propagent rumeurs, désinformations et "fake news" sur la Corée du Nord.

Sixième indice, le NKSC choisit de s'exprimer à la veille d'une session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies dont les travaux, très critiqués, ont déjà conduit à préconiser la comparution des dirigeants nord-coréens devant la Cour pénale internationale (CPI). Or, M. Kang entend justement soumettre l'affaire des 1000 morts devant la CPI... La coïncidence est-elle vraiment fortuite ?

Septième indice, l'incapacité du NKSC à donner plus d'un seul nom dans la liste des condamnés à mort, à savoir Jang Song-thaek - dont l'exécution a été rendue publique elle-même par les médias nord-coréens, il y a déjà plus de trois ans, et sur laquelle l'AAFC était revenue en déplorant par ailleurs l'application de la peine de mort. La différence, entre les autorités nord-coréennes et le NKSC, se situe donc dans une fourchette de 1 à 1000. En outre, comme l' "information" est passablement frelatée, Kang Cheol-hwan livre un second chiffre choc, tout aussi invérifié et invérifiable : 20000 personnes auraient été enfermées dans des camps de travail. Mais de qui s'agit-il ? Quand auraient-elles été enfermées et pour quelles raisons ? M. Kang ne le dit pas.

Huitième indice, le "scoop "du NKSC est relayé par Yonhap, la plus grande agence de presse sud-coréenne, semi-publique. Ce sont donc des "informations" qui tombent à pic au moment où le gouvernement sud-coréen, ultra-conservateur, est engagé dans une campagne dénonçant, précisément, les atteintes aux droits de l'homme en Corée du Nord. Cette diversion est particulièrement opportune, au moment où la chef de l'Etat vient d'être destituée par le Parlement et alors que la campagne électorale présidentielle a commencé de fait - une campagne où, comme de juste, les conservateurs (actuellement au plus bas dans les sondages) vont faire souffler "le vent du Nord" pour influencer l'électorat et se maintenir à la Maison bleue.


Et comme si ces huit indices n'étaient pas suffisant par eux-mêmes, Yann Rousseau des Echos a estimé pertinent d'occulter les doutes de l'agence Yonhap elle-même sur la fiabilité du chiffre de "1000 morts". En effet, selon l'article de Yonhap : "C’est la première fois qu’un tel nombre d'exécutions est avancé en conséquence de l’affaire Jang Song-thaek. A l’époque, les médias parlaient de quelques exécutions de cadres du Parti."

De "quelques" exécutions jusqu'à présent (selon les spécialistes et les médias sud-coréens) - disons 10, pour faire bonne mesure - nous serions donc passés à 1000... Une multiplication par 100 ! Ou bien le chiffre de 1000 recouvrirait-il alors une autre réalité... et laquelle ? Où est l'information dans ce maquis d'arguments d'autorité et de faits assénés sans aucune preuve matérielle ?

Confronté à devoir justifier l'énormité de son chiffre, Kang Cheol-hwan a dû concéder que "les témoignages sur le nombre de personnes exécutées ne sont pas parfaitement concordants". Un demi-aveu que, pas plus que la multiplication soudaine du nombre supposé des victimes, ni Yann Rousseau des Echos, ni les pigistes de L'Obs n'ont jugé opportun de faire part à leurs lecteurs.

Sources :

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