Après la guerre de Corée (1950-1953), les passages du Sud au Nord de la Corée (et du Nord au Sud de la péninsule) sont devenus quasi-impossibles, et n'ont donné lieu qu'à des mouvements de population très limités (dans les deux sens). La sévère pénurie alimentaire qu'a ensuite connue la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) entre 1992 et 1999 a alors conduit, à partir de cette date, des dizaines de milliers de Nord-Coréens à se rendre en Chine avant de rejoindre, pour une partie d'entre eux, la Corée du Sud - où résiderait aujourd'hui une communauté d'environ 30 000 réfugiés nord-coréens, soit environ un millième de la population nord-coréenne. Les réfugiés nord-coréens sont l'objet de nombreux débats : si le regard que les Occidentaux portent sur eux (et par extension, sur la Corée du Nord) est largement conditionné par les récits spectaculaires, en grande partie fantasmés et instrumentalisés par l'extrême-droite, de défecteurs célèbres (comme Shin Dong-hyuk et Park Yeon-mi), une partie des réfugiés nord-coréens regrette pour sa part sa vie au Nord de la péninsule (où certains ont choisi de retourner vivre). Dans ce contexte, il importe de dépassionner la question des réfugiés nord-coréens en Corée du Sud : c'est tout l'intérêt d'un film comme Madame B, Histoire d'une Nord-Coréenne, qui sortira prochainement en France, d'offrir une approche documentaire, loin des jugements de valeur, pour comprendre la vie peu commune de nombre de ces réfugiés. L'Association d'amitié franco-coréenne a apporté son soutien à la diffusion du film.
Madame B, histoire d'une Nord-Coréenne sortira en salles le 22 février 2017 : ce long-métrage franco-sud-coréen de Jero Yun a reçu le prix du meilleur documentaire au Festival international de Moscou et au Festival de Zurich. Caméra au poing, Jero Yun a suivi dans son périple, de la Chine jusqu'en Corée du Sud, dans des conditions particulièrement difficiles, Madame B., Nord-Coréenne ayant quitté clandestinement son pays, mariée à un paysan chinois par ses passeurs, devenue passeuse elle-même.
Madame B. ne prétend pas être une héroïne. Dans le film elle ne porte pas de jugement sur son pays d'origine, ni sur la Corée du Sud où elle vit désormais, ce qui déconcertera assurément les amateurs d'histoires à faire peur sur la Corée du Nord. Ce qui la guide, c'est la volonté d'aider sa famille, son mari et ses enfants (nord-coréens), puis son second mari (chinois), ce qui en soi relève certainement d'une forme de grandeur morale qui mérite d'être saluée - la fin justifiant les moyens. Les motivations très personnelles, profondément apolitiques, de Madame B. reflètent celles d'une immense majorité des réfugiés nord-coréens en Corée du Sud, qui ont découvert, à leur arrivée à Séoul, une société travaillée au corps par l'anticommunisme, qui prend en Corée du Sud la forme d'une paranoïa à l'égard de la Corée du Nord. Madame B. est d'ailleurs victime de cette paranoïa, elle et les siens ayant subi les sévices des services secrets sud-coréens, qui les soupçonnent d'espionnage pour le Nord. Un soupçon qui ne repose sur aucune preuve concrète, témoignant du caractère encore autoritaire de la Corée du Sud - à mille lieux des images d'Epinal d'une démocratie sud-coréenne pure et parfaite.
Le film est servi par une grande finesse dans les procédés techniques, où les silences des personnages et les clairs-obscurs laissent à comprendre sans jamais asséner de vérité révélée. Les portraits psychologiques, magnifiques, sont ceux de Madame B., mais aussi de ses deux familles, coréenne et chinoise. La caméra donne à voir, de manière pudique, tout comme la voix off qui créent une atmosphère exprimant de manière subtile les doutes et les tensions qui animent des personnages portant, chacun en eux, une part touchante d'humanité. Madame B, histoire d'une Nord-Coréenne est un film documentaire puissant et beau, qui nous réconcilie avec un genre qui n'a été que trop souvent malmené quand il a abordé les questions nord-coréennes.
Lire la fiche du film et sa présentation sur le site de l'Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion (ACID) :
A l'image de ce début déboussolant, le film ne cessera de mettre à mal nos certitudes, de nous amener là où l'on ne s'y attend pas. C'est dans ce maelström géopolitique entre la Core...
commenter cet article …