L'Institut russe d'Extrême-Orient est l'un des organismes internationaux les plus réputés pour ses analyses sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Le 7 septembre 2016, le site russe Newsinfo a publié un entretien avec un des chercheurs du centre, Evgeny Kim, sous le titre "Les sanctions des Etats-Unis rendront le régime de Kim Jong-un éternel". Nous publions ci-après cet article traduit du russe, qui revient en détail sur la situation internationale actuelle en Asie du Nord-Est et aussi les politiques des principaux acteurs en présence, y compris la Russie et la Chine.
En quoi l’arme nucléaire est-elle utile à la direction de la RPDC ? Quel rôle jouent les États-Unis dans la rivalité entre la Corée du Sud et la Corée du Nord ? Comment les gens vivent-ils maintenant en République Populaire Démocratique de Corée, et pourquoi la Russie et la Chine misent-elles sur ce pays ? Sur ces questions nous donnons la parole à Evgeny Kim, candidat en sciences philosophiques et collaborateur scientifique principal du Centre des études coréennes de l'Institut d'Extrême-Orient.
— Que représente la République populaire démocratique de Corée ? Comme le pays vit derrière un rideau de fer, des rumeurs circulent selon lesquelles les gens y souffrent de la faim. Qu’en est-il réellement ?
— Le peuple vit non dans l'aisance, comme en Amérique ou en Suède. Sans doute leur niveau de vie n’atteint pas le nôtre. Et en ce sens, certes, le pays est pauvre. Mais d'autre part, je voudrais remarquer que c'est un pays avec une économie en croissance. Si vous vous rappelez, dans les années 90 et au début des années 2000 vous aviez une économie périssante, qui allait en général vers le désarroi. Ils ont surmonté cette étape, et c'est maintenant une économie en expansion.
De plus je voudrais remarquer qu'il n'y a pas là-bas de gens mourant de famine. Oui, puisque le pays est modeste, leur approvisionnement n’est pas celui auquel nous sommes habitués. On estime là-bas normal que, chez eux, une personne consomme environ 1700-1800 kilocalories (kcal) par jour, et non 8000 kcal, comme le champion olympique Phelps, ou 3000 kcal, comme le Russe ordinaire. Mais, selon les normes de l'Organisation mondiale de la santé, le minimal nécessaire pour le maintien de l'activité vitale et pour le travail normal d’une personne est de 1430 kcal. Tout cela est assuré. De plus, le pays a des relations diplomatiques avec environ 150 États. Peut-on parler d'isolement ? Il me semble que non. Naturellement, on ne va pas là-bas très facilement, un visa est nécessaire. Mais dans le monde il en est de même dans de nombreux pays.
Pourquoi le pouvoir nord-coréen veut-il l’arme nucléaire ?
Il faut prendre en considération que le pays vit en réalité en état de siège, parce que les troupes américaines se trouvent en Corée du Sud. Elles ne sont pas très nombreuses (28 500 soldats), mais elles sont équipées de l'armement le plus moderne.
De plus il y a une immense base américaine militaire sur le territoire du Japon, depuis laquelle le temps de vol jusqu'en Corée n'est que de 2 à 3 heures. En outre l'armée sud-coréenne, qui comprend 660 000 personnes est environ la cinquième armée, en nombre de militaires, dans le monde. Les dépenses militaires annuelles de l'armée sud-coréenne sont d'environ 35 milliards de dollars. Pour que vous ayez une idée claire de ce que cela représente pour le Nord, j’ajoute que le produit intérieur brut de la Corée du Nord est d’environ 33 à 34 milliards de dollars.
Les potentiels militaires de la Corée du Sud et de la Corée du Nord ne sont pas comparables. La Corée du Nord a décidé de miser notamment sur l'armement nucléaire et les missiles, parce qu’elle ne peut pas rivaliser avec le Sud en termes d’armements conventionnels.
Ils ont vu comment Kadhafi a renoncé à l'arme nucléaire, et ce qui lui est arrivé ensuite. Ils ont vu également comment, en son temps, Saddam Hussein a renoncé lui aussi à se doter de l'arme nucléaire, et ils en sont arrivés à la conclusion : si tu as l’arme nucléaire, on ne te touchera pas.
Certes, cela demande de l'argent, mais la présence de cette arme permet de dépenser moins pour la mise en place d’armements conventionnels faisant contrepoids à ceux de la Corée du Sud. On a l’impression que les États-Unis et la Corée du Sud agissent d'une manière délibérée pour le renforcement du régime de la Corée du Nord. Ainsi, ce printemps ont eu lieu les manœuvres militaires "Key Resolve" et "Foal Eagle". Le but de ces manoeuvres est de tester, préparer et répéter de la réalisation du plan rapide 5015 (OPLAN 5015), qui prévoit la destruction de la direction de la Corée du Nord, la destruction des centres spatiaux du pays, des centrales nucléaires et de tous les systèmes liés aux centres de gestion de la force de frappe nucléaire et des missiles.
C'est un plan de déclaration de guerre contre un autre pays, l’inconnue étant sa date de mise en oeuvre. C'est pourquoi la direction de la Corée du Nord peut raisonner à peu près ainsi : "Regardez, nous tentons de leur parler, et eux essaient constamment de nous anéantir. C'est pourquoi nous devons être unis tous ensemble et résister face aux impérialistes américains".
Que les États-Unis, et la Corée du Sud rêvent de liquider le régime de la Corée du Nord ne fait pas l'objet du moindre doute. Ils le déclarent ouvertement. Bien que, officiellement, la direction sud-coréenne dise : "Nous ne sommes pas pour le remplacement du régime politique de la Corée du Nord, nous voulons seulement qu'ils renoncent à l'arme nucléaire". Or ils ne peuvent pas renoncer à l'arme nucléaire tant que les Américains seront présents sur territoire de la Corée du Sud, et chaque année les manoeuvres recommencent !
La Chine a bloqué récemment au Conseil de sécurité de l'ONU une résolution, qui condamne l'essai de missiles. Cette décision est liée au fait que les Américains installent leur propre défense antimissiles, mais la Chine considère qu'il faut d’abord y mettre fin, et ensuite parler des essais de fusées nucléaires. C'est-à-dire que la Chine a pris la défense de la Corée du Nord. Pourquoi pas la Russie ?
Vous savez, nous avons une répartition des rôles bien définie. L'application du droit du veto au Conseil de sécurité de l’ONU est une mesure extraordinaire, et il ne faut pas l'utiliser en toute occasion. Nous avons, si vous voulez, un accord officieux avec la Chine : tout ce qui touche à la Corée du Nord à l'ONU sera réglé par elle. Et nous appuyons automatiquement toutes les résolutions du Conseil de sécurité liées aux sanctions contre la Corée du Nord parce que les Américains les ont coordonnées avec les Chinois. Y compris la résolution 2270 du Conseil de sécurité de l'ONU qui interdit les exportations de charbon par la RPDC.
Ainsi la Chine fait preuve d’hypocrisie en ce qui concerne la Corée du Nord et quand elle en prend la défense c'est seulement quand l'affaire concernée touche ses propres intérêts ?
La Chine a accédé en son temps aux désirs des Américains, et maintenant il lui faut continuer à soutenir automatiquement cette position. Mais la Chine, en prenant tout en compte, n’est pas à même de mettre en oeuvre cette résolution. C'est aussi le cas maintenant. Le commerce entre la Corée du Nord et les régions frontalières de la Chine n'est pas fermé, il se poursuit. Et c'est pour cela qu’il n’y a pas encore en RPDC de signes de détérioration de son approvisionnement. Tout va normalement.
Mais il me semble qu'en leur temps nos diplomates, de même que les diplomates chinois, ont fait une erreur, en pensant que s’ils accédaient aux désirs des Américains, ceux-ci accéderaient aux leurs. Il n'en est rien. Le jour même où la Chine a accepté la résolution la plus dure contre la Corée du Nord, proposée par les Américains, ceux-ci ont avancé leurs navires en mer de Chine. Le jour même où nous avons accepté cette résolution, à la suite de la Chine, les États-Unis ont annoncé qu’ils prolongeaient les sanctions contre nous.
Depuis toujours les États-Unis se renforcent en Corée pour une toute autre raison que le bien des Coréens. Ils sont installés en Corée pour contrer la Chine, et le système de défense antimissiles n'est pas directement dirigé contre la Corée du Nord. Quand les hommes politiques du Sud disent que les missiles du Nord menacent la sécurité nationale du pays, je me demande toujours : "prennent-ils l’avis de leurs militaires, oui ou non ?"
Le système qui s'installera est étudié pour détruire des missiles à hauteur de 50 à 150 kilomètres. 100 kilomètres et au-delà c’est déjà au-delà de l’espace aérien. Ne sont donc concernées que les fusées balistiques intercontinentales. Pour les Coréens du Nord pilonner ou détruire quelque chose sur le territoire de la Corée du Sud n'a aucun sens si c'est pour utiliser des missiles balistiques intercontinentaux, beaucoup trop coûteux et trop imprécis. Ils feront cela par des missiles tactiques à proche rayon d’action. Et ce système, que les Sud-Coréens veulent installer, ne sera aucunement utile, mais est par contre adapté pour tenter d’intercepter des missiles qui seraient lancés depuis la Chine ou la Fédération de Russie.
On estime que les Américains ont investi dans la Corée du Sud après la guerre pour en faire l'image du miracle asiatique et que les habitants du Nord envient le niveau de vie des Sud-Coréens et renversent leur gouvernement. Pourquoi la Chine et la Russie ne peuvent pas maintenant, s'étant unies, créer un pareil miracle avec la Corée du Nord ?
En ce qui concerne le miracle coréen, les Américains ont injecté environ
dans l'économie de la Corée du Sud jusque dans les années 1960. L'Union Soviétique et la République populaire de Chine ont davantage investi dans l'économie de la Corée du Nord. Jusqu'en 1972 la Corée du Nord avait un niveau de vie plus élevée que la Corée du Sud, l'économie se développait avec davantage de succès, la formation était plus élevée.Comment les Sud-Coréens ont-ils commencé à gagner ? Quand les Américains ont commencé la guerre contre le Viêt Nam en 1965, le pouvoir sud-coréen a envoyé là-bas deux divisions, et les États-Unis, en échange, ont augmenté l'aide militaire à la Corée du Sud et lui ont accordé un certain nombre de crédits. De plus les Américains ont également vu que leurs militaires qui faisaient la guerre au Viêt Nam avaient besoin de repos, de traitement, ils devaient coudre l'équipement, la literie … et il les fallait les approvisionner. Les Américains ont confié tout cela à la Corée du Sud. Et la Corée du Sud a gagné beaucoup d'argent. Si l'Amérique avait passé ces commandes au Japon ou en Amérique, cela aurait coûté deux fois plus cher. C'est pourquoi il n'y avait pas de place pour de la bienfaisance, c'était un calcul du côté des États-Unis de se servir du bas niveau de vie de la population de la Corée du Sud et d'une main d'oeuvre à bas coût pour recevoir toutes les facilités attendues : les vêtements, le confort et les femmes…
Mais pour le compte de quoi la rivalité entre la Corée du Sud et la Corée du Nord se prolonge-t-elle à longueur d’années ?
La compétition a lieu non pas dans l'intérêt de l'aide directe américaine, mais au compte de la création de conditions plus favorables aux capitaux en dehors du pays et sur le marché international grâce à l'accès au FMI et au bénéfice de conditions favorables pour l'exportation de biens aux États-Unis.
Pourquoi la Russie et la Chine n’aident-elles pas les Coréens du Nord à se redresser un peu économiquement ?
La Russie est un pays capitaliste, pourquoi aiderait-elle un pays socialiste ?
Il faut y trouver quelque intérêt. Nous aidons la Syrie, nous aidons l'Ukraine.
Il y des intérêts. Par exemple, depuis longtemps j’ai dit que la Corée du Nord a des minérais très intéressants, qui seraient utiles à notre économie. Et aussi des réserves très intéressantes de terres rares. Vladimir Poutine a récemment organisé une conférence sur ce sujet. Il est intéressant de noter que nos grandes entreprises achetaient les minerais et terres rares en Amérique latine. Je dis : "Pourquoi ? Vous comprenez qu'à n'importe quel moment peut surgir un conflit militaire, et tout cela s'arrêtera". Et ici nous avons une frontière commune, nous pourrions acheter à la République populaire démocratique de Corée ! Mais les sociétés pensent seulement uniquement à leurs bénéfices à court terme. L'avenir leur importe peu.
Il faut qu'ici les compagnies d'État agissent, or chez nous on tente de réduire le rôle de l'État. En conséquence, sans soutien de l'État, nos sociétés travailleront difficilement avec la Corée du Nord. Il faut ici que l'État manifeste sa volonté et élabore un programme précis de coopération économique avec la Corée du Nord. Par exemple, la Corée du Nord avait une dette envers nous, nous avons déprécié 90 pour cent de cette dette, et en avons maintenu 10 pour cent (un milliard de dollars). Si les Coréens du Nord disent qu’ils ont élaboré des projets réalisables avec la Russie, alors nous pouvons considérer cet argent comme notre placement, qui irait sur de telles affaires. Nous soustrairions cela de la dette restante, et nous considèrerions cela comme notre apport. Ainsi, on peut aider Corée du Nord à moderniser certaines entreprises.
Maria Snytkova a préparé cette publication.
Lioubov Lioulko posait les questions.
Traduction du russe YB.
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