Le 27 mai 2016, Anna Fifield , du Washington Post, a publié un article après sa rencontre avec Ko Yong-suk, tante maternelle du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, et son mari Ri Gang, qui ont fait défection en 1998 aux Etats-Unis, où ils ont créé une entreprise de nettoyage à sec. Les deux défecteurs ayant bien connu le futur Président Kim Jong-un alors enfant (Ko Yong-suk a veillé sur lui comme l'aurait fait sa mère), la presse occidentale n'a retenu de cet entretien au Washington Post que les détails - au demeurant peu nombreux - sur la vie privée du numéro un nord-coréen. Pour sa part, l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC) juge plus intéressant et plus pertinent de sortir d'anecdotes relevant de la presse de caniveau pour s'intéresser aux motivations de Ko Yong-suk et Ri Gang, qui ont accepté de donner une interview à un média américain qui évite en général les lieux communs et les désinformations les plus grossières sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord). Il ressort la volonté de Ri Gang de jouer un rôle d'intermédiaire entre les Etats-Unis et la RPD de Corée : et si c'était finalement possible ?
Ko Yong-suk et Ri Gang, de dos, le 23 avril 2016 à New York. Le couple vit aux Etats-Unis sous une nouvelle identité.
Avant d'être des défecteurs célèbres, Ri Gang et Ko Yong-suk sont déjà des Nord-Coréens dont l'attitude vis-à-vis de leur ancienne patrie est plus représentative de ce que pensent la plupart des défecteurs nord-coréens que quelques réfugiés ultra-médiatisés, qui ont fait un commerce lucratif de récits où le faux se mêle bien plus au vrai que ne peut le justifier le traumatisme du départ et des épreuves vécues.
Tout d'abord, Ko Yong-suk et Ri Gang parlent avec respect du Maréchal Kim Jong-un - ce qu'aucun média occidental citant l'enquête d'Anna Fifield n'a jugé digne d'intérêt pour être relevé. Ils ont aussi subi les préjugés de la communauté (sud-)coréenne aux Etats-Unis à l'égard du Nord, et connu les églises évangélistes coréennes aux motivations douteuses, ignorant en tout cas le principe français de laïcité consistant à séparer les sphères publique et privée. Enfin, le désintérêt des enfants du couple pour la Corée (Nord comme Sud) est, sur ce point, un trait commun à bien des immigrés coréens de seconde génération.
Comme beaucoup de réfugiés nord-coréens, le fait qu'ils refusent de critiquer les autorités de la RPD de Corée - d'autant plus qu'ils occupaient des positions sociales importantes - leur vaut les foudres des services de renseignement sud-coréens et de leurs sbires nord-coréens, mercenaires des basses oeuvres des patrons et de l'extrême-droite de Corée du Sud. L'an dernier, le couple a porté plainte en diffamation contre des défecteurs nord-coréens qui les accusaient d'avoir reçu des opérations de chirurgie esthétique et volé des millions de dollars - ce qui est un comble quand on sait qu'ils doivent aujourd'hui travailler dur pour faire marcher leur petit commerce.
Ri Gang et Ko Yong-suk n'en sont pas moins désormais pleinement des Coréens Américains, qui revendiquent leur identité américaine mais sans renier une coréanité qui est (dans leur cas) celle de la RPD de Corée. Ce qui amène Ri Gang, "particulièrement soucieux que les journalistes ne parlent pas en mal [de la Corée du Nord], [à] se positionner comme un intermédiaire pouir combler le fossé grandissant entre Washington et Pyongyang" selon Anna Fifield, citant Ri Gang :
Mon but ultime est de retourner en Corée du Nord. Je comprends l'Amérique et je comprends la Corée du Nord. Cest pourquoi je pense pouvoir être un négociateur entre les deux (...) Si Kim Jong-un est comme je me souviens qu'il était, je pourrais le rencontrer et lui parler.
Pour rester dans le politiquement correct, Anna Fifield cite un "expert" de la RPD de Corée pour dénoncer l'aspiration de Ri Gang comme chimérique. Pourtant, des anciens proches du Président Kim Jong-un - comme le cuisinier Kenji Fujimoto - ont été pardonnés par le Président Kim Jong-un, et sont ensuite retournés en Corée du Nord. Alors pourquoi le rêve de Ri Gang serait-il absurde ?
Car ce qui ressort du récit de Ko Yong-suk et de Ri Gang est que la CIA, si elle les a pris en charge lors de leur défection, n'a rien fait quand les services secrets sud-coréens (NIS) les ont diffamés, par sbires interposés. Lorsque l'on sait la subordination de la Corée du Sud aux Etats-Unis, l'attitude de la CIA en dit long sur la façon dont les Américains traitent les personnes qui font défection aux Etats-Unis... En tout cas, il y aurait tort à voir dans Ri Gang et Ko Yong-suk de simples Coréens américains (ou Américains coréens) qui seraient menacés par la RPDC (et pas par la CIA...) en cas de visite en Corée du Nord. Comme souvent dans le domaine du renseignement, la réalité est probablement plus complexe, et si Ri Gang obtenait un visa nord-coréen, Pyongyang le recevrait certainement de la meilleure manière.
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