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5 mars 2016 6 05 /03 /mars /2016 20:32

Après le vote par le Conseil de sécurité des Nations Unies, le 2 mars 2016, de la résolution 2270 qui a significativement alourdi les sanctions à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), les autorités nord-coréennes ont annoncé avoir placé leur arsenal nucléaire en état d'alerte : cité par l'agence KCNA de la RPD de Corée le 4 mars 2016, le Maréchal Kim Jong-un a en effet déclaré que "nous devons être toujours prêts à chaque instant à utiliser notre arsenal nucléaire". Si ces déclarations ont été accueillies avec scepticisme par les Etats-Unis quant aux capacités nucléaires de la RPD de Corée, les déclarations contradictoires des responsables américains, par le passé, amènent pourtant à faire apparaître un nouveau mensonge des Etats-Unis à l'opinion publique.

Le Maréchal Kim Jong-un

Le Maréchal Kim Jong-un

Après les déclarations des autorités nord-coréennes qu'elles plaçaient leur arsenal nucléaire en état d'alerte, les médias occidentaux ont largement cité un responsable américain qui, sous couvert d'anonymat, a déclaré que, selon Washington, la RPD de Corée n'avait pas prouvé avoir les moyens ni de miniaturiser une arme nucléaire, ni de la placer sur un missile balistique :

L’analyse du gouvernement américain n’a pas changé. Nous n’avons pas vu la Corée du Nord tester ni démontrer sa capacité à miniaturiser une tête nucléaire et la mettre sur un missile balistique

Ces deux conditions (miniaturisation, placement sur un missile) sont en effet requises pour disposer d'une capacité de dissuasion nucléaire consistant à prévenir toute attaque par des forces ennemies, comme l'a rappelé dans une analyse ABC News qui a également donné des évaluations de l'étendue de l'arsenal nucléaire nord-coréen.

En ce qui concerne le nombre d'armes nucléaires dont disposerait la RPD de Corée, un rapport du service d'études du département américain de janvier 2016 a estimé que, selon la plupart des sources occidentales, la Corée du Nord aurait produit de 30 à 40 kg de plutonium, soit une quantité suffisante pour produire au moins une demi-douzaine d'armes nucléaires. Le nombre d'armes nucléaires de la RPDC est souvent évalué entre 10 et 16, mais pourrait augmenter significativement - jusqu'à 20 en 2020, voire 100, selon une étude de 2015 du US-Korea Institute AT SAIS.

S'agissant de la capacité de la RPDC à placer ses armes nucléaires sur des missiles balistiques, ce ne sont pas les satellites nord-coréens qui représentent le vecteur adéquat, mais les missiles à longue porte KN08, comme l'a rappelé devant le Congrès, en février 2016, James Clapper, directeur de National Intelligence, qui a ajouté :

 

Nous estimons que la Corée du Nord a déjà pris des mesures dans cette direction, mais qu'il n'y a pas encore eu de lancement pour tester le système [d'arme nucléaire sur un missile].

En effet, comme l'AAFC le soulignait sur la base de travaux repris par le site 38 North, la fusée Unha 3, qui a lancé le satellite Kwangmyongsong-4, n'est pas un lanceur adapté pour une tête nucléaire, à la différence du missile intercontinental KN08, dont les plateformes mobiles sont beaucoup plus difficiles à repérer. Si l'armée et le gouvernement américains ont abusivement assimilé le lancement de la fusée Unha 3 à un essai de missile intercontinental, afin de justifier le renforcement des sanctions contre la Corée du Nord, la réalité technique, exposée par James Clapper devant le Congrès américain, est qu'à ce jour la Corée du Nord n'a pas effectué de lancement de missile intercontinental susceptible de porter une arme nucléaire, en n'ayant procédé qu'à des lancements de satellites spatiaux. 

Mais qu'un tel essai n'ait pas encore eu lieu signifie-t-il que la RPD de Corée n'en a pas les capacités, et donc qu'elle ne serait pas en moyen de placer son arsenal nucléaire en état d'alerte ? C'est ce qu'affirment aujourd'hui - avec quelques précautions de langage - les responsables américains, contredisant les Nord-Coréens qui prétendent, quant à eux, être en mesure non seulement de miniaturiser des armes nucléaires (notamment dans une déclaration de mai 2015), mais aussi de les placer sur des missiles balistiques.

Cependant, les dirigeants de l'armée américaine n'ont pas toujours été aussi affirmatifs dans leur déni des capacités nucléaires nord-coréennes. En avril 2013, une déclaration déclassifiée de l'Agence de renseignement du ministère américain de la Défense (acronyme anglais DIA), lors d'une audition parlementaire, avait considéré comme plausible le fait que la Corée du Nord dispose déjà, à cette date (c'est-à-dire il y a près de trois ans), d'armes nucléaires pouvant être placées sur des missiles balistiques. Le porte-parole du Pentagone George Little avait ensuite démenti, en déclarant qu'il ne s'agissait pas d'une donnée du renseignement et que, "en outre, la Corée du Nord n'avait pas démontré sa pleine capacité" à se doter de missiles dotés d'armes nucléaires. Mais si l'on lit bien le texte, une absence de preuve ne veut pas dire une incapacité, d'autant plus que George Little parlait de "pleine capacité".

En octobre 2014, le Général Curtis Scaparrotti, qui commande les forces américaines dans la péninsule coréenne, avait déclaré que la RPDC était capable de miniaturiser ses armes nucléaires, compte tenu notamment de l'ancienneté des recherches accomplies par les Nord-Coréens en ce domaine. Le Pentagone avait à nouveau démenti, en affirmant qu'il n'y avait pas de preuves à l'appui des déclarations du Général Curtis Scaparrotti, mais qu'il n'y avait aucune raison de ne pas douter que les Nord-Coréens étaient proches d'atteindre cet objectif... il y a donc presque un an et demi.

Que peut-on conclure de ces déclarations successives et contradictoires ? Que la RPD de Corée n'a pas effectué de test de missile intercontinental prouvant de manière irréfutable sa capacité à installer des têtes nucléaires sur des missiles à longue portée, mais que la possibilité qu'elle dispose d'une telle capacité peut raisonnablement être envisagée - d'autant que cette hypothèse apparaissait déjà plausible il y a trois ans. Toutefois, les autorités américaines ont préféré démentir cette capacité des Nord-Coréens, pour des raisons que l'on peut considérer comme suit :

- reconnaître les progrès réalisés par la RPDC serait un aveu implicite de l'échec de la politique de sanctions par rapport à une solution diplomatique négociée, qu'ils ont clairement rejetée en élaborant la résolution 2270 qui approfondit la politique de sanctions ;

- leur communication, efficacement relayée par la quasi-totalité des médias occidentaux, a été basée sur une assimilation du lancement d'un satellite artificiel par Pyongyang à un test de missile intercontinental ; parler de la capacité (vraisemblable, mais non encore prouvée) des Nord-Coréens à placer une tête nucléaire sur un missile intercontinental conduirait à exposer les différences entre le programme spatial de la RPDC et celui de lancement de satellites, et donc à révéler qu'ils ont menti à l'opinion publique, en connaissance de cause. Après le désastre qu'a constitué la manipulation de l'opinion publique sur les armes de destruction massive irakiennes, un aveu de mensonge n'aura lieu que si les responsables américains y sont acculés.

Sources :

 

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