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14 février 2016 7 14 /02 /février /2016 13:41
Piotr Akopov est l'un des rédacteurs du journal russe en ligne Vzgliad, dont Similarweb estime la fréquentation à environ 14 millions de visiteurs par mois. Plusieurs de ses articles ont été traduits et publiés en France par Courrier international. Piotr Akopov a publié le 8 février 2016 un article sur la situation autour de la péninsule coréenne (titre original en russe : "Решение «проблемы» КНДР зависит только от США" ; en français : "La solution du "problème" de la Corée du Nord dépend entièrement des Etats-Unis"). Nous reproduisons ci-après une traduction en français de cet article par Marianne Dunlop, par ailleurs membre de l'Association d'amitié franco-coréenne (AAFC), publiée par le site Histoireetsociete (les liens ont été ajoutés par l'AAFC).
Photo: Korean News ServiceIK / CP / Reuters

Photo: Korean News ServiceIK / CP / Reuters

La Corée du Nord se trouve à nouveau dans le collimateur des grandes puissances. Le lancement d’une fusée avec la mise en orbite d'un satellite, ainsi que le dernier essai nucléaire le mois dernier a fortement augmenté la probabilité de l’imposition de nouvelles sanctions contre Pyongyang. Mais aucune pression ne permettra de résoudre le problème nucléaire nord-coréen. Pour cela il existe une recette toute différente.

 

Dimanche, la Corée du Nord a lancé sa fusée «Kwangmyongsong-4 », qui a mis en orbite un satellite avec des appareils de télécommunication. La communauté internationale n’a pas cru aux objectifs purement scientifiques du lancement – soupçonnant les Coréens d’avoir effectué un nouveau test de missile balistique intercontinental.

 

Déjà début janvier, lorsque Pyongyang a testé une bombe à hydrogène, l’Occident et le Japon ont commencé à exiger l’introduction de nouvelles sanctions contre la Corée du Nord – et maintenant les risques sont encore plus réels. Pour l’instant, la Russie et la Chine ont condamné le lancement de la fusée, et par conséquent le Conseil de sécurité des Nations unies réuni en urgence a adopté une nouvelle résolution condamnant les actions de Pyongyang.

 

Et bien que le représentant permanent de la Russie à l’ONU Vitali Tchourkine ait déclaré qu’il ne faudrait pas que des sanctions renforcées conduisent à un effondrement économique et humanitaire en Corée du Nord, une lutte sérieuse s’est engagée autour du degré de pression à exercer sur Pyongyang. Les Etats-Unis sont partisans de la plus grande sévérité. Et l’une des formes de pression sur la Russie et la Chine sont les messages concernant le début de négociations pour un éventuel déploiement en Corée du Sud d’un nouveau système de défense antimissile américain.

 

Il est clair que le déploiement du système de défense antimissile américain dans le sud de la péninsule coréenne sera perçu à juste titre par Moscou et Pékin comme dirigé contre eux. Mais les Américains ont justement calculé que, pour éviter cela, la Russie avec la Chine renforceraient leur pression sur les Nord-Coréens au sujet des programmes nucléaires et des missiles. Cela dit, c’est une ruse pas très honnête : même si Donald Trump, par exemple, a déclaré que « la Chine prétend qu’elle ne contrôle pas la Corée du Nord. En fait, elle possède le plein contrôle de la Corée du Nord … Que la Chine résolve ce problème » – en fait, les experts américains sont bien conscients que personne ne contrôle la Corée du Nord.

 

De surcroît, le problème nord-coréen est largement utilisé par les Etats-Unis pour maintenir leur présence sur les frontières de la République populaire de Chine et de la Russie. Après tout, la « menace nord-coréenne » est le principal argument pour justifier les forces américaines en Corée du Sud. Mais existe-t-il un problème nord-coréen, qui est déjà présenté depuis deux décennies comme l’une des principales menaces pour le monde ?

 

Oui, la Corée du Nord a lancé des fusées dans l’espace, cela fait partie de son programme militaire. Oui, la Corée du Nord procède à des essais nucléaires. Mais pourquoi fait-elle cela ? La réponse est simple – pour se protéger des Etats-Unis.

 

Le pays est situé entre la Chine, la Russie et l’Amérique. Avec les deux premières, il a des frontières, et les forces américaines se trouvent directement sur le territoire de son voisin du sud, avec qui, après la guerre de 1950-1953, il n’y a toujours pas eu de traité de paix. Les deux Corées se sont battues il y a 60 ans – du côté du Nord se battaient l’armée chinoise et les pilotes russes, tandis que les troupes américaines avaient remplacé l’armée sud-coréenne anéantie. Cette guerre est terminée depuis longtemps, et les Chinois se sont retirés cinq ans après la signature de l’armistice – mais les Américains sont toujours en Corée du Sud. Ils étaient là tant qu’existait le camp socialiste, et lorsque l’Union soviétique s’est effondrée ils sont restés. En outre, au début des années 90 les Etats-Unis ont d’abord attendu l’effondrement du régime de Kim Il-sung, et ensuite, quand ils ont soupçonné qu’il faisait une bombe atomique, ils ont même pensé à attaquer la RPDC.

 

Mais Kim s’est préoccupé sérieusement de la création d’armes nucléaires précisément en raison de la disparition de l’Union soviétique – voulant enfin prémunir son pays d’une attaque des Américains. Nous pouvons considérer Kim et ses descendants comme des dictateurs, et juger leur régime effrayant et arriéré, mais même dans ce cas, on ne peut qu’être d’accord avec le fait que leur inquiétude est fondée. Oui, dans les années 90, les États-Unis n’ont pas attaqué une Corée du Nord dénucléarisée (tout simplement parce qu’ils auraient subi eux-mêmes des pertes énormes), mais Kim pensait à l’avenir. Et quand plus tard les Américains ont écrasé l’Afghanistan et l’Irak dénucléarisés, que pouvait penser Pyongyang ?

 

L’arme nucléaire a longtemps été la force de dissuasion de la RPDC – et ils ont officiellement annoncé sa présence en 2005. Et avant cela, et ensuite, toutes les tentatives de faire pression sur la Corée du Nord n’ont amené à rien. Il y a eu – et il y a toujours –  des sanctions et des menaces et des exhortations. Toutes inutiles – parce que la Corée du Nord ne se sent pas en sécurité.

 

Toutes les tentatives de détourner la conversation dans le sens de « les Kim n’y sont pas sensibles parce qu’ils sont eux-mêmes agressifs » ne sont qu’une pitrerie. Aucun des trois Kim – aujourd’hui le pays est dirigé par le petit-fils du fondateur, Kim Jong-un, 33 ans, – ne sont des crétins maniaques. Attaquer la Corée du Sud, où l’armée américaine possède des bases, équivaudrait à une attaque contre les États-Unis. Même dans les années 1950-1980, quand les Américains maintenaient la Corée du Sud dans la crainte de leur voisin du nord, il était clair que Pyongyang n’avait pas de plans d’attaque. Et cela est encore plus vrai aujourd’hui dans les conditions d’isolement géopolitique de la Corée du Nord.

 

Depuis un quart de siècle, la Corée du Nord vit sans le parapluie nucléaire soviétique – conservant seulement un traité d’amitié et d’assistance mutuelle avec la Chine. Mais Pyongyang ne peut pas compter entièrement sur l’assurance chinoise. Tout d’abord, parce que pendant de nombreuses années la Corée était un vassal de la Chine – pour les fiers Coréens une telle dépendance est douloureuse. D’autant plus – et c’est la deuxième chose – que Pyongyang a vu le soutien soviétique s’évaporer en quelques années. Et où est la garantie que, tôt ou tard, il ne se passera pas la même chose avec la Chine ?

 

Bien sûr, Pyongyang comprend que la Chine n’acceptera pas l’expansion de la zone d’influence américaine sur toute la péninsule coréenne et en particulier le déploiement de troupes américaines au nord. Mais qui peut garantir à Pyongyang, qu’à un certain moment les Etats-Unis et la Chine ne s’entendront pas derrière son dos sur la réunification de la Corée à leurs conditions ? Une option à peine imaginable – mais la Corée du Nord ne peut pas l’exclure.

 

La Corée du Nord est non seulement l’une des dix puissances spatiales, mais aussi un pays avec une souveraineté nationale absolue. Un pays qui ne compte que sur lui-même – et pour préserver leur droit de vivre selon leurs propres règles, les Coréens du Nord ont créé une bombe nucléaire et des missiles balistiques. Ce pays ne menace personne dans le monde. Au contraire, les deux dernières décennies on tente de le transformer en un paria du monde, l’isoler et le contraindre à renoncer à sa politique de « compter sur ses propres forces ». L’indignation face à leur programme nucléaire basique est compréhensible, mais pas trop convaincante : pour la simple raison qu’aucune plainte au niveau international n’a été formulée à l’encontre d’Israël qui est officieusement et depuis longtemps en possession d’armes atomiques.

 

Le secret est simple – les Etats-Unis agitent la menace nucléaire coréenne afin de changer le régime de Pyongyang. La marginalisation internationale de Pyongyang devait, selon les Américains, saper les fondements du gouvernement nord-coréen. Des sanctions pour les armes atomiques, pour les missiles, les droits de l’homme, entraînant la détérioration des conditions de vie d’une population déjà pauvre, une crise politique et la chute des Kim. Et en conséquence – l’unification de la Corée par l’absorption du Nord par le Sud pour la plus grande joie de Washington,avançant ses bases vers la frontière sino-russe.

 

La pression sur la Chine est la deuxième raison pour laquelle les Etats-Unis montent en épingle la « menace coréenne ». Pékin, comme Moscou, ne peut pas déclarer officiellement qu’il ne se soucie pas de « la bombe des Kim » : tout de même, il y a le régime de non-prolifération, et puis le problème du programme nucléaire nord-coréen est fortement médiatisé. Cependant ni Pékin ni Moscou n’ont pas la capacité de commander à Pyongyang quoi que ce soit.

 

Ainsi, la politique américaine de pression sur la Corée du Nord ne peut pas conduire à la solution du «problème» atomique coréen, tout simplement parce que les Etats-Unis eux-mêmes sont la principale cause des armes nucléaires de la Corée du Juche. Les éliminer n’est plus possible – au moins tant que les troupes américaines resteront en Corée du Sud. Mais il est possible d’atténuer les tensions dans la région elle-même, pour assurer que le problème nucléaire coréen cesse d’être un objet de manipulation de la part de Washington. Car dans la mesure où le Pacifique devient de plus en plus la scène principale de l’action et des intérêts des États-Unis, on « étrillera » la Corée de plus en plus.

 

Il suffit de conclure un traité de paix entre la RPDC et les Etats-Unis – ce qu’en fait demande depuis longtemps Pyongyang à Washington. Mais les Etats-Unis refusent – en retournant la question : procédons d’abord à la dénucléarisation de la Corée du Nord, après nous verrons. C’est-à-dire que l’on propose à un pays que les États-Unis ont mis sur la liste de l’ «axe du mal», contre qui on a fait la guerre dans le passé et envers qui « on n’exclut pas un scénario militaire », dont les dirigeants sont dépeints comme « une menace majeure pour les Etats-Unis » de désarmer unilatéralement – et on fait semblant d’être surpris par son refus.

 

Si les Etats-Unis ne veulent pas de traité de paix – cela signifie qu’ils ne veulent pas résoudre le problème. Et qu’ils veulent seulement l’utiliser dans un grand jeu géopolitique contre la Chine et la Russie. mais si les Etats-Unis continuent à « jouer à la Corée », tôt ou tard, Moscou et Pékin devront prendre des mesures extraordinaires pour priver leur adversaire géopolitique de la possibilité de jouer cette carte.

 

Une bonne option a été suggérée par le chef du Comité de la Douma pour la défense, Vladimir Komoedov [Parti communiste russe]. Il a souligné que « cette ligne devient dangereuse pour la Russie », et, tout en admettant que « probablement il faut faire quelque chose pour freiner la Corée du Nord », l’amiral a déclaré que l’une des options pour contrôler la Corée du Nord, serait peut-être d’examiner son admission dans le « club nucléaire ».

 

Pour le moment Moscou et Pékin ne sont pas encore prêts à faire la proposition de reconnaître officiellement la RPDC comme huitième puissance nucléaire- mais le « jeu coréen » de Washington ne laisse pas à la Russie et à la Chine d’autre choix.

Source :

Article original en russe :

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