Ancien journaliste, Chang Kang-myoung a raconté dans son dernier roman devenu un best-seller Pourquoi je déteste la Corée l'histoire d'une jeune fille de 20 ans représentative de la génération "Hell Choseon" (littéralement : la Corée c'est l'enfer) qui exprime le profond malaise d'une jeunesse sud-coréenne contrainte à des sacrifices plus grands que ses aînés, sans perspective d'ascension sociale dans une société restée très hiérarchique et autoritaire. Nous publions ci-après des extraits d'un entretien donné par Chang Kang-myoung au journal Libération.
Dès leur plus jeune âgé, les Coréens sont soumis à des exigences de réussite sociale, scolaire puis professionnelle, dans une société ultra-compétitive qui laisse beaucoup au bord de la route, créant un profond sentiment de découragement. S'ajoute un fossé générationnel avec leurs parents, alors que les jeunes arrivent sur un marché du travail désormais marqué par la perspective du chômage et, plus encore, du travail précaire :
Pour moi qui ai 40 ans, ce n’est ni un paradis ni un enfer. J’aime mon pays. Mais les jeunes, eux, sont découragés, en colère et perdus. Ils ne voient plus la Corée comme une terre d’opportunité. Ils sont confrontés pour la première fois au chômage, à un marché du travail rigide où l’on a, d’un côté, des élites hyperprivilégiées et, de l’autre, des travailleurs irréguliers, mal payés et sans filet de protection sociale. Et comme le pays s’est développé à une allure fulgurante entre les années 60 et 80, le fossé générationnel entre les jeunes et leurs parents est particulièrement prononcé. Non seulement ils ont une situation plus précaire que leurs aînés, mais il y a un décalage assez dur à vivre, pour eux, entre ce qu’on leur fait miroiter pendant leurs études et la réalité de la société sud-coréenne. A l’école, on les encourage à devenir des leaders mondiaux, à apprendre l’anglais et à penser mondialement. Mais quand ils arrivent dans la vie active, ils se heurtent à une société encore très hiérarchisée, conservatrice et, à bien des égards, encore autoritaire.
Un des mérites - et qui n'est pas le moindre - de Chang Kang-myoung n'est pas seulement de décrire les clivages d'une société - entre les plus jeunes, désabusés, et les plus âgés voyant dans l'accélération de la croissance économique la solution à tous les problèmes ; entre des appels à la révolte et des discours a contrario moralisateurs sur la chance qu'auraient les jeunes Sud-Coréens de vivre dans une société de loisirs ; entre les conservateurs qui croient au rôle fondamental des conglomérats, les chaebols, et les progressistes qui vouent aux gémonies ces mêmes chaebols. Chang Kang-myoung propose aussi de revoir des façons de penser qui, comme la langue, touchent à l'identité même des Coréens - alors que, comme il le rappelle, la Corée est un pays complexé par son histoire, où le sentiment de fierté patriotique est ainsi très fort :
Dans les années 90, l’économie se portait toujours bien et nous avions obtenu la démocratie ; c’était probablement la meilleure période de notre histoire récente. Aujourd’hui, l’économie ne croît plus et nous devons l’accepter. Je pense que même sans croissance, nous pourrions régler beaucoup de nos problèmes en instaurant une société moins hiérarchisée et basée sur le respect mutuel.
[question du journaliste] Comment y parvenir ?
Je pense tout d’abord que tout le monde devrait utiliser la forme honorifique pour s’adresser aux autres, peu importe l’âge ou la position sociale [la langue coréenne est codifiée en plusieurs niveaux de formes honorifiques et de politesse en fonction de l’âge et du statut social de l’interlocuteur]. On devrait abandonner ces vieilles manières confucéennes dont nous sommes si fiers.
Certains se demanderont si ces interrogations sont propres à la Corée. Probablement pas, mais elles prennent un relief particulier dans une société dont les valeurs cardinales sont toujours - entre autres - le confucianisme, le respect de l'autorité et l'idée d'une exemplarité nationale (chaque Coréen est dépositaire d'une image de son pays). En ce sens, la difficulté des Sud-Coréens à accepter leurs propres minorités - qu'elles soient politiques, ethniques ou sexuelles - s'inscrit dans un processus qui tend à gommer les différences et, in fine, à privilégier le groupe et à écraser l'individu, et donc à générer du mal-être social.
Lire l'interview complète à cette adresse :
Chang Kang-myoung : "En Corée, les jeunes sont pétrifiés à l'idée d'échouer"
Dans son dernier roman, l'écrivain sud-coréen dresse un portrait sans concession de son pays. Face à une économie qui ne croît plus et une société hyperhiérarchisée, les jeunes découvrent...