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5 décembre 2015 6 05 /12 /décembre /2015 22:07

Du 16 octobre 2015 au 7 février 2016, le Musée Cernuschi organise une rétrospective exceptionnelle des artistes coréens en France, intitulée "Séoul - Paris - Séoul. Artistes coréens en France - figurations coréennes", qui montre le rôle constant joué par Paris dans la formation et l'expression d'artistes coréens, depuis l'entre-deux-guerres, jusqu'à des oeuvres parmi les plus récentes exceptionnellement mises en valeur.

Le tableau "Aube" de Bang Hae-ja, artiste abstraite coréenne vivant en France depuis 1961, illustre l'exposition du Musée Cernuschi

Le tableau "Aube" de Bang Hae-ja, artiste abstraite coréenne vivant en France depuis 1961, illustre l'exposition du Musée Cernuschi

Témoigner de la place de la scène parisienne dans la création artistique coréenne contemporaine est un défi qu'ont su relever avec brio les organisateurs des expositions du Musée Cernuschi et de la mairie du 8e arrondissement, en réunissant un vaste échantillon d'oeuvres conservées en France. Commissaire de l'exposition du Musée des Arts de l'Asie de la Ville de Paris, Mael Bellec, conservateur du Patrimoine davantage spécialiste de la Chine, a réalisé un travail de recherche et d'analyse considérable dont, plus que l'exposition elle-même, rend compte l'excellent catalogue de l'exposition, qui comble utilement une lacune dans les relations franco-coréennes. En effet, Paris a été de longue date une destination privilégiée des artistes coréens, mais sans que l'on dispose d'une vue d'ensemble présentant également les figures majeures de la scène artistique coréenne à Paris. Avec la levée en 1989 des autorisations préalables imposées jusqu'alors aux Sud-Coréens pour voyager, la capitale française accueille par ailleurs un nombre important d'étudiants sud-coréens dans les disciplines artistiques et littéraires, et tout d'abord en beaux-arts. Tout juste pourrait-on regretter une translittération aléatoire, et parfois clairement erronée, des noms des artistes coréens en France - même si un index final avec les noms en écriture coréenne permet de combler en partie cette lacune. Par ailleurs, si la scène artistique coréenne à Paris a été essentiellement progressiste, il n'eût pas été inutile de faire aussi ressortir les influences du réalisme américain, mises en avant dans la tradition figurative des artistes officiels encouragés par les régimes conservateurs autoritaires sud-coréens.

Bien que d'abord dédié aux arts chinois (auxquels sont intimement liés les arts coréens traditionnels), le Musée Cernuschi a également acquis des oeuvres d'artistes contemporains coréens, japonais et vietnamiens. Le Musée Cernuschi a en outre occupé une place privilégiée dans les échanges culturels franco-coréens : en 1964, avec le soutien de critiques d'art et d'artistes de l'Ecole de Paris (dont Pierre Soulages et Hans Hartung), Lee Ungno (1904-1989) a créé l'Académie de peinture orientale de Paris. C'est avec le soutien du directeur du Musée Cernuschi Vadime Elisseeff que Lee Ungno a donné des cours de l'Académie au Musée Cernuschi, de 1971 jusqu'à sa mort en 1989. Cette tradition d'enseignement dans les murs mêmes du musée a été reprise par l'épouse de Lee Ungno, l'artiste Park In-kyung (née en 1926), et leur fils Lee Young-sé (né en 1956), tandis que Lee Ungno et Park In-kyung ont procédé à des donations d'oeuvres, et été exposés au Musée en 1971 et 1989. Par ailleurs, une collaboration entre le Musée Lee Ungno de Daejeon et le Musée Cernuschi a permis de restaurer les oeuvres de l'artiste coréen présentées dans l'exposition.

L'exposition du Musée Cernuschi est construite suivant un plan essentiellement chronologique, qui fait à la fois ressortir les influences traditionnelles est-asiatiques et les tendances occidentales des artistes coréens ayant vécu à Paris. Elle s'ouvre par une peinture de Bae Un-song (1900-1978), Une grande famille, réalisée dans les années 1930 : un des premiers artistes coréens exposé en Europe (à Paris et en Allemagne), il s'est installé à Paris entre 1937 et 1940, avant d'enseigner dans le Sud de la Corée, puis au Nord, où il a été l'un des peintres les plus renommés de la République populaire démocratique de Corée. L'oeuvre de Bae Un-song exposée au Musée Cernuschi est caractéristique du dialogue entre la peinture asiatique traditionnelle (qui, à partir de l'entre-deux-guerres et de la découverte des arts occidentaux à l'époque de la colonisation japonaise de la Corée, est désormais appelée en coréen tongyanghwa, ou peinture orientale) et la peinture occidentale (soyanghwa). Si la thématique (la famille, bourgeoise, en costume traditionnel) et un certain hiératisme des figures sont coréens, le choix de la peinture à l'huile (et non à l'encre de Chine) et le style réaliste traduisent les influences occidentales. 

"Une grande famille" (1930-1935), de Bae Un-song (Pai Unsung)

"Une grande famille" (1930-1935), de Bae Un-song (Pai Unsung)

Après la génération de l'entre-deux-guerres, d'autres artistes coréens viennent vivre et travailler, et parfois s'établir, en France, dans les années 1950 et 1960, opérant des choix artistiques, personnels (ils abandonnent parfois des situations sociales plutôt confortables) et parfois politiques - Lee Ungno a été une des victimes, multiples, de la répression par la junte militaire sud-coréenne, ayant été accusé injustement d'espionnage au profit de la Corée du Nord en 1967, emprisonné pendant deux ans (1967-1969) et interdit de séjour en Corée du Sud (à partir de 1977), ce qui l'a amené à opter pour la nationalité française en 1983, n'étant réhabilité par les autorités sud-coréennes qu'à la veille de sa mort, en 1989. Une deuxième figure majeure de cette génération, le peintre abstrait Han Mook (né en 1914) a développé une oeuvre marquée par les premiers pas de l'homme sur la Lune, et dont se dégage une puissante dimension cosmique. Les générations ultérieures (représentées par Yun Hyong-keun, Kim Chang-yeul, Park Seo-bo, Chung Sang-hwa, Lee Ufan, Kim Guiline, Bang Hae-ja...), ayant grandi dans une Corée libérée du joug de la colonisation japonaise mais marquée par les épreuves de la guerre de la Corée (1950-1953), de la division nationale et du régime autoritaire de la Corée du Sud (jusqu'en 1993), ont été formés ou exposés à Paris : ils s'inscrivent plus clairement encore dans un réseau d'échanges artistiques internationaux, épousant les tendances de l'art contemporain.

L'exposition du Musée Cernuschi - et son catalogue - abordent enfin la délicate question d'une identité coréenne, dans un examen subtil du choix des matériaux, des thèmes et des formes, traduisant une sensibilité spécifiquement coréenne (et notamment les permanences calligraphiques de la peinture coréenne) dans son rapport au monde - non seulement comme cosmogonie, mais aussi comme scène artistique dont Paris est l'un des lieux, par-delà les cheminements individuels et la formation d'une communauté artistique coréenne, dont l'Académie de peinture orientale de Paris a été l'un des creusets.
 

Lee Bae, sans titre (2015). Médium acrylique et charbon sur toile. Collection particulière, Paris.

Lee Bae, sans titre (2015). Médium acrylique et charbon sur toile. Collection particulière, Paris.

Sources principales : catalogue de l'exposition, et présentation de l'exposition au Musée Cernuschi

Lire aussi, sur le blog du comité régional Bourgogne de l'AAFC :

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