Suite à l'envoi « par erreur » de bacilles actifs de la maladie du charbon par le département de la Défense des Etats-Unis à plus de 50 laboratoires situés dans 17 Etats américains et trois pays étrangers - l'Australie, le Canada et la Corée du Sud -, le personnel de l'armée américaine stationné en Corée du Sud a été exposé entre le 21 et le 27 mai 2015 à cet agent pathogène extrêmement dangereux. Cet incident, qui aurait pu tourner à la catastrophe pour les soldats américains et, surtout, pour la population coréenne, relance le débat sur l'Accord sur le statut des forces accordant aux forces américaines stationnées en Corée du Sud des privilèges exorbitants au mépris de la souveraineté de la Corée du Sud et de la sécurité de sa population.
Bacille du charbon (bacillus anthracis)
D'après un rapport du commandement des Forces américaines en Corée du Sud (United States Forces Korea, USFK), rendu public le 28 mai 2015, un échantillon de bacille du charbon utilisé pour un test sur la base aérienne d’Osan (35 km au sud de Séoul), s'est avéré être actif, provoquant l'intervention du personnel d'urgence et la destruction de l'échantillon incriminé le 27 mai.
Le bacille du charbon (bacillus anthracis) est une bactérie à l'origine d'une maladie infectieuse aiguë appelée maladie du charbon (en anglais : anthrax), fatale dans 95 % des cas. Le bacille du charbon est utilisable comme arme bactériologique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la dispersion de 100 kg de cet agent pathogène à basse altitude au-dessus d'une grande ville pourrait tuer de un à trois millions de personnes.
Le commandement de l'USFK a déclaré que l'examen des 22 personnes ayant participé au test n'a révélé aucun signe d'infection, que le public n'a été exposé à aucune menace et que le gouvernement sud-coréen a été informé dès le 27 mai du caractère actif de l'échantillon de bacille du charbon manipulé sur la base d'Osan. Mais l'USFK n'a pas précisé si les autorités sud-coréennes avaient été informées au préalable de cette expérience bactériologique et de l'entrée d'un échantillon de bacille du charbon sur le territoire sud-coréen.
A la suite de la révélation de l'incident de la base d'Osan, la presse et la société civile sud-coréennes s'interrogent sur les conséquences de possibles accidents provoqués par la manipulation d'armes biologiques ou chimiques par l'armée américaine sur le territoire sud-coréen. Les Etats-Unis stationnent toujours 28 500 soldats en Corée du Sud et conservent le contrôle opérationnel (OPCON) de l'armée sud-coréenne en temps de guerre.
Dès l'incident du 27 mai connu, l'organisation civique sud-coréenne Solidarité populaire pour une démocratie participative (fondée en 1994), déjà mobilisée en 2008 contre les importations de viande bovine des Etats-Unis présentant une menace pour la santé publique en Corée du Sud, a interpelé le gouvernement :
Il s'agit d'une question ayant un impact direct sur la vie des gens et le gouvernement sud-coréen doit dire publiquement s'il était informé de l'entrée de bacille du charbon dans le pays, si de telles armes de destruction massive biologiques et chimiques ont été introduites dans le passé, et si les mesures gouvernementales de quarantaine et de contrôle ont été suffisantes au cours du processus d'importation.
Au cours d'une réunion sur la sécurité en Asie tenue à Singapour le 30 mai, soit deux jours après l'annonce de l'incident du 27 mai, le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter a présenté au ministre sud-coréen de la Défense Han min-koo des excuses pour l'introduction en Corée du Sud de bacille du charbon actif par l'armée américaine et a promis de prendre les mesures pour empêcher qu'un tel incident se reproduise.
A l'origine, les Etats-Unis n'avaient pas prévu d'aborder l'affaire du bacille du charbon au cours de la réunion de Singapour. Ce n'est qu'après que la partie sud-coréenne a fait part de la colère du public suite à l'annonce de l'incident du 27 mai que la partie américaine a décidé d'ajouter cette question à l'ordre du jour et d'exprimer ses regrets. En fait, l'administration américaine paraît surtout s'inquiéter que cet incident provoque un conflit avec l'allié sud-coréen et que se réveille en Corée du Sud un sentiment anti-américain latent, comme en 2002 lorsque deux écolières sud-coréennes furent écrasées par un blindé de l'armée américaine au cours de manœuvres.
L'administration américaine n'a pas expliqué pourquoi et comment l'incident du 27 mai a pu arriver, ce qui, outre leurs excuses tardives, peut faire douter de la sincérité des autorités américaines et de leur volonté de donner davantage d'informations, comme l'a relevé lequotidien sud-coréen Hankyoreh. Des citoyens et organisations sud-coréens exigent que les Etats-Unis exposent tous les détails du processus qui a permis à du matériel biologique dangereux d'être expédié jusqu'en Corée du Sud.
Il est d'autant plus urgent d'évaluer le niveau des renseignements partagés entre les gouvernements américain et sud-coréen au sujet des armes biologiques et chimiques détenues par les forces des Etats-Unis stationnées en Corée du Sud que, selon le quotidien Hankyoreh, un responsable du gouvernement sud-coréen a déclaré le 31 mai que les armées américaine et sud-coréenne ne s'informent pas de leurs exercices militaires respectifs, suggérant que les forces des Etats-Unis en Corée du Sud n'ont pas prévenu les autorités sud-coréennes de leurs expériences sur le bacille du charbon.
Pour empêcher la répétition d'un tel incident, il apparaît nécessaire de réviser l'Accord sur le statut des forces (Status of Forces Agreement, SOFA) signé par la Corée du Sud et les Etats-Unis. En effet, un bon moyen d'empêcher l'armée américaine d'introduire du matériel dangereux en Corée du Sud et d'y développer des armes biologiques serait que les douanes sud-coréennes puissent inspecter les chargements destinés aux forces américaines stationnées dans le pays, ce qu'interdit l'article 9 du SOFA.
Sur les trois pays comptant le plus de soldats américains sur leur territoire – la Corée du Sud, le Japon et l'Allemagne -, la Corée du Sud est même le seul pays où les Etats-Unis n'ont pas à informer ou discuter avec les autorités locales d'un changement dans leurs systèmes d'armes ou dans le niveau de leurs troupes ou de l'importation d'armes dangereuses.
Une autre question est de savoir si les Etats-Unis ont violé la loi internationale en expédiant dans un autre pays du matériel biologique dangereux utilisable à des fins militaires. Selon Jeong Uk-sik, président de l'organisation sud-coréenne Peace Network, cité par le Hankyoreh : « Il est possible que le seul fait que les Etats-Unis ont déplacé du bacille du charbon, lequel est utilisé comme arme biologique, vers un autre pays puisse enfreindre la Convention sur les armes biologiques. »
Manifestation d'organisations civiques sud-coréennes devant l'ambassade américaine à Séoul le 29 mai 2015
Face à l'inquiétude de la population et aux questions restées sans réponse (Quelle quantité de bacille du charbon est en cause dans l'incident de mai 2015? Le bacille du charbon a-t-il déjà introduit en Corée du Sud et, si oui, combien de fois?), l'USFK a tenté de restaurer le calme en déclarant le 29 mai qu'une telle expérience impliquant des agents biologiques ou chimiques avait eu lieu « pour la première fois » en mai 2015. Mais apparaissent aussi des preuves que les forces américaines en Corée du Sud y ont installé un laboratoire pour l'étude du bacille du charbon depuis au moins 1998, ce qui fait légitiment craindre que des incidents comparables soient déjà arrivés.
D'après le ministère sud-coréen de la Santé et du Bien-être, qui a publié le 29 mai les résultats de son enquête sur l'incident, l'échantillon de bacille du charbon a été livré à la base aérienne d'Osan quatre semaines plus tôt, soit dès début mai, par la société FedEx. L'échantillon comprenait des spores contenus dans 1 ml de liquide congelé et protégé par une triple paroi. Il a été décongelé le 21 mai en vue d'être utilisé dans de nouveaux équipements destinés à l'analyse de l'ADN par réaction en chaîne par polymérase dans le cadre d'un « programme intégré d'évaluation des menaces » mené par l'armée américaine en Corée du Sud.
Ce n'est que le 27 mai que l'USFK a été informé par le département de la Défense des Etats-Unis de la possibilité que l'échantillon de bacille du charbon livré soit actif. C'est à ce moment qu'une équipe d'intervention d'urgence est entrée en action et que l'échantillon a été détruit.
Or, selon la chaîne de télévision américaine ABC, le laboratoire sur les armes biologiques et chimiques de Dugway, dans l'Utah, à l'origine de l'envoi de l'échantillon de bacille du charbon à la base d'Osan, a expédié un autre échantillon à un laboratoire privé américain situé le Maryland, lequel a découvert dès le 22 mai que le bacille du charbon contenu dans cet échantillon était actif et a immédiatement averti le Centre pour la prévention et le contrôle des maladies des Etats-Unis.
Les organisations civiques sud-coréennes posent donc la question : Pourquoi le département de la Défense des Etats-Unis n'a pas immédiatement averti les forces américaines stationnées en Corée du Sud du caractère éminemment dangereux de l'échantillon reçu début mai et a attendu cinq jours pour le faire ?
Elles accusent également le gouvernement sud-coréen et le parti au pouvoir de faiblesse dans une affaire qui a mis en péril la vie des citoyens sud-coréens.
Le 1er juin 2015, le gouvernement sud-coréen et le Parti Saenuri au pouvoir ont déclaré vouloir tenir en juillet une réunion conjointe du comité sur l'Accord sur le statut des forces avec les Etats-Unis. Cette annonce a eu lieu après une réunion tenue à l'Assemblée nationale sud-coréenne, consacrée aux contre-mesures à prendre face au syndrome respiratoire du Moyen-Orient (Middle East Respiratory Syndrome, MERS) qui a déjà fait plusieurs victimes en Corée du Sud.
Après la réunion, le vice-ministre de la Défense Baek Seung-joo a livré un rapport sur l'incident du bacille du charbon aux députés du principal parti d'opposition, la Nouvelle alliance politique pour la démocratie (NAPD). Au cours de la réunion, le dirigeant de la NAPD Moon Jae-in a appelé à une action rapide de la part de l'administration :
Ils doivent prendre des mesures tout de suite en créant une commission conjointe conformément au SOFA et en permettant à une équipe conjointe entre la Corée du Sud et les Etats-Unis de commencer une enquête. Nous devons aussi envisager une révision des termes du SOFA afin que notre administration dispose d'assez d'informations à l'avance.
Ce n'est pas la première fois que les Etats-Unis introduisent ou utilisent des armes de destruction massive sur le territoire coréen.
Les Etats-Unis sont soupçonnés d'avoir utilisé des armes biologiques contre des populations civiles pendant la Guerre de Corée (1950-1953), grâce notamment au « recyclage » de criminels de guerre japonais.
Toujours pendant la Guerre de Corée, la supériorité technologique des Etats-Unis, combinée à la peur de basculer dans une guerre mondiale où seraient intervenus les Soviétiques et les Chinois, a failli avoir comme conséquence l'utilisation par les Américains de l'arme atomique, après les bombardements de Hiroshima et Nagasaki en 1945.
Des documents américains déclassifiés indiquent que, de 1958 à 1991, les Etats-Unis ont déployé des centaines de têtes nucléaires dans le sud de la péninsule coréenne - un maximum ayant été atteint en 1967, date à laquelle on comptait 950 têtes nucléaires. Si, depuis 1991, l'armée américaine affirme avoir retiré toutes ses armes nucléaires du sol coréen, la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) exige toujours une réciprocité américaine, vérifiable, dans le cadre des accords de dénucléarisation de la péninsule coréenne - alors que les inspections de l'Agence internationales de l'énergie atomique visent le seul programme nord-coréen qui porte sur un nombre d'armes très inférieur à celui des armes déployées par l'armée américaine pendant plus de trois décennies.
En 1997, il fut aussi révélé que les troupes américaines stationnées en Corée du Sud étaient équipées de munitions à l'uranium appauvri, des armes qui avaient provoqué une contamination à la radioactivité en Irak où elles avaient été utilisées pendant la guerre du Golfe. A l'époque, l'USFK avait commencé par nier être en possession de telles munitions avant d'admettre en disposer mais sans les avoir jamais utilisées en Corée.
Les militaires américains en Corée du Sud, grands possesseurs - voire utilisateurs - d'armes de destruction massive, au mépris de la souveraineté du pays qui les accueille et de la sécurité de ses citoyens ? Certainement. Mais le plus inquiétant dans cette affaire réside peut-être dans l'apparente inaction des autorités sud-coréennes actuelles.
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