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24 mai 2015 7 24 /05 /mai /2015 18:43

Le 14 mai 2015, la Cour suprême de la République de Corée (Corée du Sud) a rejeté l’appel formé par les procureurs contre une décision rendue en première instance, un an plus tôt, qui reconnaissait Kang Ki-hoon non coupable. Ving-quatre ans après le faits, il a été reconnu que l’ancien dirigeant étudiant a été injustement accusé d’avoir rédigé une note manuscrite laissée par un autre leader étudiant, Kim Ki-sul, alors directeur des affaires sociales de l’Union pour un mouvement national démocratique (UMND), qui s’était immolé par le feu en mai 1991. Kang Ki-hoon avait été condamné à trois ans de prison. L’acharnement de l’appareil judiciaire sud-coréen à ne pas reconnaître l’erreur commise en 1991 est symptomatique de ce que, pour les conservateurs sud-coréens revenus au pouvoir à Séoul en 2008, la manifestation de la vérité et la vie d’un homme comptent moins que la défense de l’institution judiciaire – à l’instar de la position des antidreyfusards qui, dans la France d’avant la Première guerre mondiale, entendaient défendre par-dessus tout l’honneur de l’armée, en jetant par ailleurs la suspicion sur des coupables idéals (dans un cas Alfred Dreyfus comme juif, dans l’autre Kang Ki-hoon comme militant étudiant opposé aux militaires au pouvoir à Séoul). Car malgré la décision rendue par la Cour suprême, les juges sud-coréens excluent ouvertement de s’excuser et aucune compensation ou indemnisation ne semble manifestement à l’ordre du jour, tandis qu’une position révisionniste est entretenue par le plus réactionnaire (et le plus lu) des quotidiens sud-coréens, le Chosun Ilbo.

 

Après le suicide de Kim Ki-sul, le bureau des crimes violents de la police judiciaire de Séoul avait ouvert une enquête qui avait conduit à reconnaître l’un des collègues de Kim Ki-sul, Kang Ki-hoon, coupable d’avoir rédigé le message manuscrit laissé par l’ancien dirigeant de l’UMND avant son suicide, selon une analyse graphologique conduite par l’Institut médico-légal (IML).

 

La mobilisation s’organisa contre ce nouveau procès fabriqué par le pouvoir militaire. Lors d’une conférence de presse à la cathédrale Myeongdong, Kang Ki-hoon recopia le message de suicide, apportant la preuve qu’il n’avait pas été rédigé de sa main. Kang Ki-hoon ne fut pas la seule cible de la répression militaire : un autre responsable de l’UMND, Kim Seon-taek, dut se cacher pendant deux ans et demi après avoir été accusé d’être le cerveau de la mort de Kim Ki-sul, car la note laissée lors de son suicide appelait à « faire confiance pour toutes les questions futures à Kim Seon-taek et Seo Jung-sik ».

Kang Ki-hoon, lors de la conférence de presse à la cathédrale Myeongdong

Kang Ki-hoon, lors de la conférence de presse à la cathédrale Myeongdong

Lors de l’appel, le responsable de l’IML pour l’analyse graphologique, par ailleurs condamné pour corruption dans une autre affaire, Kim Hyeong-yeong, déclara avoir donné de faux résultats dans l’affaire Kang Ki-hoon. Mais la Cour suprême décida alors d’écarter le témoignage de Kim Hyeong-yeong, en maintenant la culpabilité de Kang Ki-hoon, condamné à trois ans de prison.

 

A l’instar des autres anciens prisonniers politiques, Kang Ki-hoon a été mis au ban de la société sud-coréenne après sa libération, exerçant différents métiers pour survivre – comme ouvrier du bâtiment payé à la journée.

 

Un fait nouveau devait toutefois conduite à une réouverture du procès. En 2005, un ami de Kim Ki-sul, du nom de Han, transmit à la police des notes manuscrites qu’avait rédigées Kim Ki-sul pour les représentants du Conseil national des étudiants d’université (Jeondaehyeop). Une enquête avait été ouverte par la Commission vérité et réconciliation, qu’avaient mise en place les démocrates - alors au pouvoir à Séoul - pour réexaminer les massacres, les morts suspectes et les faux procès de l’époque des régimes autoritaires.

 

L’IML devait conclure à l’identité de l’écriture des manuscrits laissés par Kim Ki-sul pour Jeondaehyeop et de la note découverte après son suicide, rendant ainsi possible la réouverture du procès de Kang Ki-hoon, à sa demande, en 2008. Après vingt mois d’enquête, la Haute Cour de Séoul avait conclu disposer d’éléments suffisants pour reconnaître Kang non coupable. Les procureurs firent toutefois appel, en soulevant la possibilité que les écrits de Kim Ki-sul pour Jeondaehyeop soient des faux. La Cour suprême ordonna de rejuger Kang Ki-hoon, tout en s’interrogeant sur l’origine des manuscrits pour Jeondaehyeop.

 

Le nouveau procès a alors largement porté sur l’authenticité des manuscrits pour Jeondaehyeop, qui ont été comparés à d’autres écrits de Kim Ki-sul. D’autres obstacles sont apparus : les Archives nationales ont affirmé de ne pas être en mesure de fournir l’original de la note découverte après le suicide ; pour sa part, l’IML a rechigné à comparer les différents manuscrits, au motif que l’écriture des uns était nette et lisible, et pour d’autres rédigée à la hâte, tout en concluant à la possibilité qu’ils soient du même auteur.

 

En février 2014, Kang Ki-hoon a été déclaré non coupable. Aux termes du jugement rendu en février 2014,

L’analyse effectuée par l’Institut médico-légal en 1991 n’est pas fiable, et les autres preuves apportées par les procureurs ne sont pas suffisantes pour conclure que les charges retenues sont établies au-delà d’un doute raisonnable.

Le ministère public fit appel de cette décision. Le 14 mai 2015, après quatorze nouveaux mois de procédure, la Cour suprême a rejeté l’appel, jugeant la décision de février 2014 « appropriée ».

 

Lorsque la Cour suprême a rendu son verdict, le principal intéressé, Kang Ki-hoon, n’était pas dans la salle, après une récente opération pour un cancer du foie. Comme l’a déclaré un de ses médecins à un journaliste du quotidien Hankyoreh (opposition, centre-gauche) Kim Eui-kyum, qui suit l’affaire depuis 1991 depuis sa rencontre avec Kang Ki-hoon en marge de l’enterrement de Kang Kyu-dae (battu à mort par la police lors d’une manifestation en mai 1991), « le stress a affaibli son système immunitaire, ce qui a aggravé sa maladie ». A Kim Eui-kyum, Kang Ki-hoon a seulement déclaré, pour justifier son absence lors du jugement le 14 mai 2015 : « je ne voulais pas jouer les seconds rôles ». Après la décision rendue en 2014, ce qu’attendait Kang Ki-hoon n’était pas une réhabilitation ou une réparation du préjudice subi, mais des excuses des juges pour leur erreur.

Kang Ki-hoon, après la décision rendue en 2014

Kang Ki-hoon, après la décision rendue en 2014

Mais ceux qui ont détruit la vie et la santé d’un homme n’ont ni regrets, ni remords, et les juges actuels de la Cour suprême, hier les instruments de l’arbitraire de la junte militaire, n’ont pas jugé utile de faire le moindre geste en ce sens. Reflétant cet état d’esprit, un des procureurs qui avait instruit la première fois le procès, Nam Ki-chun, a même osé déclarer au quotidien Kyunghyang Shinmun après le verdict de la Cour suprême :

Je ne pense pas que ce soit le genre de choses qui exige des excuses (…) Si nous appliquons les standards actuels aux décisions du passé, les conclusions seront différentes. Suivant les critères actuels, nous devrions même inverser beaucoup des décisions rendues par le roi Séjong le grand de la dynastie Choson.

De tels propos sont proprement ahurissants : vouloir comparer la justice féodale de celle d’un pays qui se veut démocratique est avoir une bien piètre opinion de l’indépendance de la justice. Par ailleurs, les parties aux procès de la dynastie Choson sont mortes depuis belle lurette… Enfin, écarter d’un revers d’une main toute démarche consistant à reconsidérer le passé reviendrait à accepter la traite négrière ou encore les traités non conformes au droit international d’annexion de la Corée par le Japon, car – n’en déplaise au juge Nam Ki-chun – il existe des crimes imprescriptibles où il n’y a pas seulement la possibilité mais aussi l’obligation de reconsidérer d’anciennes décisions de justice.

 

De même que les antidreyfusards jugèrent sacrée la décision qui condamnait Albert Dreyfus puis mirent en doute la justice lorsqu’elle ne confortait plus leurs opinions particulières, le porte-drapeau des conservateurs, le quotidien Choson Ilbo, s’engage sur un terrain nauséabond où, compte tenu des « opinions » des différents juges, on ne saurait conclure :

Les différentes opinions subjectives des juges sur la façon de considérer les résultats des analyses graphologiques ont abouti à des positions complètement opposées lors du procès. Les jugements sur la fiabilité des preuves peuvent bien sûr différer d’un juge à l’autre. En définitive c’est Kang qui connaît la vérité.

Il s’agit ni plus ni moins d’une position révisionniste, refusant le verdict de la justice, qui appelle par ailleurs à faire parler Kang Ki-hoon, puisque lui seul « connaît la vérité ». Le faire parler ? La justice sud-coréenne a une sinistre réputation d’aveux extorqués sous la torture, dont rend compte l’excellent long métrage Memories of murder. A mots pesés, comme naguère les émigrés d’Ancien régime revenus en France à la Restauration, le Choson Ilbo n’a rien appris et rien oublié.

 

Sources :

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